Par Xavier Lièvre, notaire associé, et Hervé de Gaudemar, professeur de droit public. 14 Pyramides Notaires
Apports de la jurisprudence récente sur l’identification du domaine public
La question de l’identification du domaine public a fait l’objet d’une série d’arrêts récents du Conseil d’État qui éclairent la portée du code général de la propriété des personnes publiques en ce qui concerne la question de la distinction du domaine public et du domaine privé.
La partie législative du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) a été adoptée par une ordonnance du 21?avril 2006. Elle est entrée en vigueur le 1er?juillet de la même année, en suscitant de nombreuses interrogations, qui ont essentiellement porté sur l’interprétation des dispositions relatives à la distinction du domaine public et du domaine privé. Le critère de «?l’aménagement indispensable?», qui s’est substitué au critère de «?l’aménagement spécial?» s’agissant des biens des personnes publiques affectés à l’exécution d’un service public, et le nouveau critère du domaine public accessoire ont été longuement discutés. La question du maintien des jurisprudences concernant le «?domaine public global?», le «?domaine public virtuel?» ou la «?domanialité publique par anticipation?» a également suscité d’intéressants débats.
L’ambition de restreindre l’étendue du domaine public a été clairement affichée par les rédacteurs du code, notamment dans le rapport de présentation de l’ordonnance de 2006 au président de la République. Mais il ne fait aucun doute, au seuil d’une année 2014 où il est largement question de chocs de compétitivité et de simplification, que le domaine public n’a fait l’objet ni d’une réduction massive de son périmètre, ni d’une simplification de ses modes d’identification. C’est là le fruit d’une série de cinq arrêts par lesquels le Conseil d’État a précisé, de manière très constructive, la portée du CG3P en ce qui concerne l’identification du domaine public. Même s’ils ont été rendus dans la septième année de l’entrée en vigueur de la partie législative de ce code, entre octobre?2012 et l’automne 2013, ces arrêts ne se rattachent pas à un âge de raison du droit des biens publics, qui se trouve dans une période de relative turbulence plus que de latence. Cette impression se vérifie aussi bien pour les méthodes d’identification du domaine public, qui résultent de ces arrêts, que pour les critères de qualification qu’il convient désormais de mettre en œuvre.
Méthodes d’identification du domaine public
Les rédacteurs du CG3P ont employé deux méthodes d’identification du domaine public : une méthode conceptuelle, consistant en l’énoncé de critères généraux, et une méthode énumérative, passant par la désignation de types de biens relevant du domaine public. Ces méthodes, qui permettent d’identifier le régime applicable à des biens publics, ne peuvent cependant être mises en œuvre qu’au terme d’une analyse visant à déterminer les conditions d’application du CG3P à ces biens. Cette méthode, que l’on peut qualifier de temporelle par opposition aux méthodes matérielles précédemment évoquées, est actuellement balisée par les arrêts du Conseil d’État du 3 octobre 2012, Commune de Port-Vendres et du 25?septembre 2013, SARL Safran Port Édouard Herriot, qui ont mis fin à la période de flottement ayant suivi un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 29?avril 2008, Société Boucheries André.
La combinaison de ces deux arrêts du Conseil d’État permet de considérer, d’une part, que l’incorporation d’un bien dans le domaine public s’apprécie au regard des règles applicables à la date de cette incorporation et, d’autre part, que ce bien est maintenu dans le domaine public jusqu’à son déclassement, nonobstant l’évolution ultérieure des règles ayant conduit à son incorporation dans le domaine public. Une méthode temporelle d’identification du domaine public s’en suit. En présence d’un bien qui est entré dans le patrimoine public avant le 1er?juillet 2006, il convient ainsi, dans un premier temps, de rechercher si ce bien a été incorporé dans le domaine public en appliquant les critères d’incorporation antérieurs à l’entrée en vigueur du CG3P et, dans un second temps, de vérifier s’il a été procédé à son déclassement, soit par une décision constatant que les conditions de son maintien dans le domaine public ne sont plus satisfaites, soit par une disposition législative spécifique. L’existence d’un tel déclassement doit être recherchée soit à la date d’adoption d’un acte dont la légalité ou la licéité dépend de la qualification domaniale d’un bien (arrêt Commune de Port-Vendres), soit à la date où il est statué sur une demande d’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public (arrêt SARL Safran Port Édouard Herriot).
Critères de qualification du domaine public
La méthode d’identification du domaine public dans le temps qui vient d’être décrite génère le maintien, assez déroutant, d’un double ensemble de critères d’identification du domaine public, autour de la date charnière du 1er?juillet 2006, qui entraîne une nouvelle distinction au sein du domaine public, entre le «?stock?» et le «?flux?».
Au gré des affaires qui viennent à lui, le Conseil d’État éclaire progressivement les critères du «?flux?», qui sont énoncés par le CG3P, sans hésiter à recourir à la méthode de l’obiter dictum. Dans un arrêt du 21?décembre 2012, Commune de Douai, il a ainsi apporté un début d’interprétation au critère de «?l’aménagement indispensable?» de l’article L. 2111-1 du CG3P, en considérant que les ouvrages nécessaires au fonctionnement d’un service public sont constitutifs d’aménagements indispensables à l’exécution des missions de ce service public. Il a aussi indiqué, dans un arrêt du 8?avril 2013, Association ATLALR, que le CG3P ne reprenait pas la théorie du «?domaine public virtuel?» applicable au «?stock?».
La compréhension du CG3P s’en trouve ainsi facilitée, pour le présent et l’avenir, même s’il reste des questions à trancher comme celle de la pérennité de la domanialité publique globale. Mais de façon paradoxale, si les difficultés d’interprétation des critères du domaine public du CG3P sont en passe d’être résolues, pour le «?flux?», de nouvelles difficultés surgissent en ce qui concerne les anciens critères du domaine public, applicables au «?stock?». Ces critères sont, en effet, revisités par le Conseil d’État, non sans risque lorsqu’il en résulte une extension rétrospective de l’étendue du domaine public, avec pour conséquence de rendre applicable la règle d’inaliénabilité pour le passé, ainsi que l’imprescriptibilité qui en constitue le corollaire.
Le Conseil d’État, qui a déjà eu l’occasion de préciser qu’une affectation à l’usage direct du public suffit à incorporer un bien public au domaine public, sans qu’il soit nécessaire d’ajouter une condition tenant à son aménagement, a ainsi jugé dans un arrêt du 8?avril 2013, Association ATLALR, qu’un bien dont l’affectation à un service public a été décidée, et dont l’aménagement a été prévu de manière certaine, avant le 1er?juillet 2006, faisait partie du domaine public, avant même que cet aménagement soit réalisé. On s’accordait pourtant, jusque-là, à considérer qu’un tel bien demeurait dans le domaine privé tout en se voyant appliquer les principes de la domanialité publique. Le Conseil d’État a ensuite précisé, dans un arrêt du 17?mai 2013, SCI Gutenberg Aressy, que les réserves foncières, constituées en vue de l’aménagement d’une infrastructure de transport en commun, ne relevaient pas du domaine public, même avant l’entrée en vigueur
du CG3P.
La partie législative du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) a été adoptée par une ordonnance du 21?avril 2006. Elle est entrée en vigueur le 1er?juillet de la même année, en suscitant de nombreuses interrogations, qui ont essentiellement porté sur l’interprétation des dispositions relatives à la distinction du domaine public et du domaine privé. Le critère de «?l’aménagement indispensable?», qui s’est substitué au critère de «?l’aménagement spécial?» s’agissant des biens des personnes publiques affectés à l’exécution d’un service public, et le nouveau critère du domaine public accessoire ont été longuement discutés. La question du maintien des jurisprudences concernant le «?domaine public global?», le «?domaine public virtuel?» ou la «?domanialité publique par anticipation?» a également suscité d’intéressants débats.
L’ambition de restreindre l’étendue du domaine public a été clairement affichée par les rédacteurs du code, notamment dans le rapport de présentation de l’ordonnance de 2006 au président de la République. Mais il ne fait aucun doute, au seuil d’une année 2014 où il est largement question de chocs de compétitivité et de simplification, que le domaine public n’a fait l’objet ni d’une réduction massive de son périmètre, ni d’une simplification de ses modes d’identification. C’est là le fruit d’une série de cinq arrêts par lesquels le Conseil d’État a précisé, de manière très constructive, la portée du CG3P en ce qui concerne l’identification du domaine public. Même s’ils ont été rendus dans la septième année de l’entrée en vigueur de la partie législative de ce code, entre octobre?2012 et l’automne 2013, ces arrêts ne se rattachent pas à un âge de raison du droit des biens publics, qui se trouve dans une période de relative turbulence plus que de latence. Cette impression se vérifie aussi bien pour les méthodes d’identification du domaine public, qui résultent de ces arrêts, que pour les critères de qualification qu’il convient désormais de mettre en œuvre.
Méthodes d’identification du domaine public
Les rédacteurs du CG3P ont employé deux méthodes d’identification du domaine public : une méthode conceptuelle, consistant en l’énoncé de critères généraux, et une méthode énumérative, passant par la désignation de types de biens relevant du domaine public. Ces méthodes, qui permettent d’identifier le régime applicable à des biens publics, ne peuvent cependant être mises en œuvre qu’au terme d’une analyse visant à déterminer les conditions d’application du CG3P à ces biens. Cette méthode, que l’on peut qualifier de temporelle par opposition aux méthodes matérielles précédemment évoquées, est actuellement balisée par les arrêts du Conseil d’État du 3 octobre 2012, Commune de Port-Vendres et du 25?septembre 2013, SARL Safran Port Édouard Herriot, qui ont mis fin à la période de flottement ayant suivi un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 29?avril 2008, Société Boucheries André.
La combinaison de ces deux arrêts du Conseil d’État permet de considérer, d’une part, que l’incorporation d’un bien dans le domaine public s’apprécie au regard des règles applicables à la date de cette incorporation et, d’autre part, que ce bien est maintenu dans le domaine public jusqu’à son déclassement, nonobstant l’évolution ultérieure des règles ayant conduit à son incorporation dans le domaine public. Une méthode temporelle d’identification du domaine public s’en suit. En présence d’un bien qui est entré dans le patrimoine public avant le 1er?juillet 2006, il convient ainsi, dans un premier temps, de rechercher si ce bien a été incorporé dans le domaine public en appliquant les critères d’incorporation antérieurs à l’entrée en vigueur du CG3P et, dans un second temps, de vérifier s’il a été procédé à son déclassement, soit par une décision constatant que les conditions de son maintien dans le domaine public ne sont plus satisfaites, soit par une disposition législative spécifique. L’existence d’un tel déclassement doit être recherchée soit à la date d’adoption d’un acte dont la légalité ou la licéité dépend de la qualification domaniale d’un bien (arrêt Commune de Port-Vendres), soit à la date où il est statué sur une demande d’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public (arrêt SARL Safran Port Édouard Herriot).
Critères de qualification du domaine public
La méthode d’identification du domaine public dans le temps qui vient d’être décrite génère le maintien, assez déroutant, d’un double ensemble de critères d’identification du domaine public, autour de la date charnière du 1er?juillet 2006, qui entraîne une nouvelle distinction au sein du domaine public, entre le «?stock?» et le «?flux?».
Au gré des affaires qui viennent à lui, le Conseil d’État éclaire progressivement les critères du «?flux?», qui sont énoncés par le CG3P, sans hésiter à recourir à la méthode de l’obiter dictum. Dans un arrêt du 21?décembre 2012, Commune de Douai, il a ainsi apporté un début d’interprétation au critère de «?l’aménagement indispensable?» de l’article L. 2111-1 du CG3P, en considérant que les ouvrages nécessaires au fonctionnement d’un service public sont constitutifs d’aménagements indispensables à l’exécution des missions de ce service public. Il a aussi indiqué, dans un arrêt du 8?avril 2013, Association ATLALR, que le CG3P ne reprenait pas la théorie du «?domaine public virtuel?» applicable au «?stock?».
La compréhension du CG3P s’en trouve ainsi facilitée, pour le présent et l’avenir, même s’il reste des questions à trancher comme celle de la pérennité de la domanialité publique globale. Mais de façon paradoxale, si les difficultés d’interprétation des critères du domaine public du CG3P sont en passe d’être résolues, pour le «?flux?», de nouvelles difficultés surgissent en ce qui concerne les anciens critères du domaine public, applicables au «?stock?». Ces critères sont, en effet, revisités par le Conseil d’État, non sans risque lorsqu’il en résulte une extension rétrospective de l’étendue du domaine public, avec pour conséquence de rendre applicable la règle d’inaliénabilité pour le passé, ainsi que l’imprescriptibilité qui en constitue le corollaire.
Le Conseil d’État, qui a déjà eu l’occasion de préciser qu’une affectation à l’usage direct du public suffit à incorporer un bien public au domaine public, sans qu’il soit nécessaire d’ajouter une condition tenant à son aménagement, a ainsi jugé dans un arrêt du 8?avril 2013, Association ATLALR, qu’un bien dont l’affectation à un service public a été décidée, et dont l’aménagement a été prévu de manière certaine, avant le 1er?juillet 2006, faisait partie du domaine public, avant même que cet aménagement soit réalisé. On s’accordait pourtant, jusque-là, à considérer qu’un tel bien demeurait dans le domaine privé tout en se voyant appliquer les principes de la domanialité publique. Le Conseil d’État a ensuite précisé, dans un arrêt du 17?mai 2013, SCI Gutenberg Aressy, que les réserves foncières, constituées en vue de l’aménagement d’une infrastructure de transport en commun, ne relevaient pas du domaine public, même avant l’entrée en vigueur
du CG3P.