Par Frédéricque Milotic, avocat associé, et Amandine Cogneville Perol, avocat. Delsol Avocats
Cas pratique : la difficile cohabitation entre, d’une part, le cautionnement par la société mère des obligations de sa filiale (la « NewCo ») sous la forme d’un nantissement du compte-titres de la NewCo et, d’autre part, les droits prévus par le pacte régissant les cessions entre les associés de la NewCo.

Dans le cadre d’une opération de reprise d’une société (la « cible ») via un LBO, plusieurs garanties, réelles ou personnelles, sont mises en place afin de garantir aux établissements bancaires (les « prêteurs seniors ») le remboursement de toutes les sommes dues par la NewCo, en qualité d’emprunteur au titre de la dette d’acquisition de la cible (le « prêt senior »). Ces garanties sont à géométrie variable et peuvent se cumuler.
La garantie incontournable est la constitution par la NewCo d’un nantissement du compte-titres de la cible. Il est toutefois de plus en plus fréquent que les prêteurs seniors souhaitent appréhender, par la voie d’un cautionnement réel, le compte-titres de la NewCo. Cette tendance a été confortée par la loi de finances pour 2011, qui a expressément exclu du champ d’application du dispositif de lutte contre la sous-capitalisation les emprunts garantis par le nantissement du compte-titres de la NewCo.
Dans cette deuxième hypothèse, le nantissement est constitué par l’associé majoritaire de la NewCo (l’« associé majoritaire ») et porte sur le compte-titres sur lequel sont inscrites, à la date de mise à disposition du prêt senior, la totalité des actions de la NewCo détenues par l’associé majoritaire.

Nature juridique de la sûreté réelle pour autrui
Traditionnellement appelée «cautionnement réel», cette garantie a fait l’objet pendant de nombreuses années de divergences jurisprudentielles, tranchées par un arrêt rendu en Chambre mixte le 2 décembre 2005 dans lequel la Cour de cassation a affirmé qu’«une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers (n’implique) aucun engagement personnel à satisfaire l’obligation d’autrui et (n’est) pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas».
En l’absence d’engagement personnel de l’associé majoritaire, on comprend aisément l’importance pour les prêteurs seniors de pouvoir exercer sur le nantissement tous les droits, actions et privilèges que la loi reconnaît au créancier nanti et, dans ce cadre, de mettre en œuvre, à leur choix, l’une des procédures tendant soit à la mise en vente publique des titres financiers soit à leur attribution, conventionnelle ou judiciaire.

Conséquence pour les associés de la NewCo

Dans le cas d’un LBO, cette prérogative appartenant aux prêteurs seniors se heurte de facto aux intérêts des investisseurs choisis pour accompagner l’associé majoritaire dans le financement de la cible (les «investisseurs»). En effet, en cas de réalisation du nantissement, l’associé majoritaire sera dépossédé de ses titres ; en conséquence, les investisseurs se retrouveront associés avec les prêteurs seniors ou, dans le cas de la revente par ces derniers des titres financiers, avec le cessionnaire desdits titres. L’absence d’encadrement des conditions de réalisation du nantissement contrevient donc aux règles de contrôle de la géographie du capital, prévues par le pacte régissant les relations entre les associés de la NewCo et sur la base desquelles les investisseurs ont accepté d’investir.
Comment alors articuler le nantissement avec le classique droit de préemption, qui permet aux associés d’acquérir, par priorité au cessionnaire envisagé, la totalité des titres financiers, objets d’un projet de cession, aux mêmes conditions et selon les mêmes modalités que celles de la cession projetée, ou encore une clause d’agrément ou un droit de substitution ?
Une première solution envisageable est de prévoir qu’en cas de nantissement de titres financiers lui appartenant, l’associé majoritaire s’oblige à obtenir préalablement des prêteurs seniors : d’abord leur renonciation à demander en justice l’attribution à leur profit des titres nantis, ensuite leur renonciation à devenir - sur simple notification adressée au constituant - propriétaires des titres nantis, et enfin, au cas où ils demanderaient la vente des titres nantis aux enchères, l’obligation d’insérer dans le cahier des charges de l’adjudication une disposition permettant aux investisseurs - ou aux autres associés bénéficiaires du droit de préemption (les «bénéficiaires») - de se substituer au dernier enchérisseur dans un délai de 15 jours à compter de l’adjudication, conformément à l’article R.233-9 du Code des procédures civiles d’exécution qui prévoit que les procédures légales et conventionnelles d’agrément, de préemption ou de substitution sont mises en œuvre dans le cadre des ventes aux enchères.
Ainsi, en cas de réalisation du nantissement par mise en vente publique, les bénéficiaires, sous réserve de la contestation du cahier des charges, pourront alors préempter s’ils le souhaitent les titres nantis.
En pratique, tout dépendra du rapport de force entre l’associé majoritaire et les prêteurs seniors. Ce rapport étant souvent à l’avantage des seconds, ces derniers pourront refuser de renoncer à leur droit à attribution et faire valoir que la faculté pour les bénéficiaires de se substituer, au prix d’adjudication, au dernier enchérisseur, serait de nature à perturber le jeu normal des enchères en décourageant les acheteurs éventuels.

Une solution qui ne peut être que conventionnelle

En conséquence, une solution intermédiaire peut être négociée entre les prêteurs seniors, l’associé majoritaire et les bénéficiaires, en la forme d’une clause de préférence. Ainsi, en cas de réalisation du nantissement par attribution ou appropriation des titres financiers concernés au profit des prêteurs seniors et dans le cadre de la revente desdits titres financiers, les prêteurs seniors s’engageraient d’une part à permettre aux bénéficiaires de participer au processus de revente et, d’autre part, à choisir en priorité leur offre d’acquisition dans l’hypothèse où le prix proposé intégralement en fonds immédiatement disponibles pour la totalité desdits titres financiers serait égal ou supérieur au meilleur prix proposé par un tiers acquéreur.
En tout état de cause, il est nécessaire de prévoir une clause particulière dans la convention de subordination signée notamment entre les prêteurs seniors et les associés de la NewCo, qui organise la subordination des créanciers subordonnés vis-à-vis des prêteurs seniors, visant à aménager les droits de chacun en cas de réalisation du nantissement.

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