Par Alexandre de Fontmichel et Martin Donato, associés. Scemla Loizon Veverka & de Fontmichel
L’accès à la justice arbitrale pose des problèmes non résolus en cas de difficultés financières d’une partie. Parallèlement, les sociétés de financement de procès investissent l’arbitrage international.

L’une des caractéristiques principales de l’arbitrage, justice conventionnelle et privée, est d’être d’accès payant. Les parties à un arbitrage sont amenées à prendre à leur charge des dépenses nettement supérieures à celles nécessaires au déclenchement et à la conduite d’une procédure judiciaire : honoraires plus élevés de conseils, avocats et experts, honoraires de l’arbitre ou des arbitres, frais versés à une institution d’arbitrage, notamment. La partie à une clause compromissoire ou à un arbitrage en cours qui se trouve en situation d’impécuniosité peut de fait être privée d’accès à la justice.

La recherche de remèdes spécifiques
Les coûts élevés associés à une procédure arbitrale ont pour effet de fixer un seuil d’enjeu financier en deçà duquel la clause compromissoire est susceptible de dissuader une partie de s’engager dans un litige. L’arbitrage est ainsi par nature réservé aux litiges à forts enjeux financiers, les parties recherchant parfois en concluant une clause compromissoire un tel effet régulateur. Cette singularité va de pair avec le fait que le domaine principal d’intervention de l’arbitrage demeure le commerce international.
Dans l’attente de la sentence qui fixera la répartition définitive des frais, la répartition égalitaire des provisions est la règle de principe mais la plupart des règlements d’arbitrage prévoient la faculté de moduler la part de provisions due par chaque partie en fonction du montant de ses demandes.
Ce mécanisme évite par exemple qu’une partie forte économiquement, par le jeu d’une demande reconventionnelle très élevée, porte la part de provision de son adversaire à un montant prohibitif à dessein, pour l’inciter à abandonner ou transiger.
Reste qu’une partie peut être dans l’incapacité matérielle de saisir un tribunal arbitral d’une demande légitime et d’importance stratégique, étant entendu que l’aide juridictionnelle étatique qui assure tant bien que mal l’accès à la justice judiciaire ne s’applique pas en matière d’arbitrage.
En outre, la force obligatoire de la clause compromissoire est indépendante de la santé financière du signataire et la partie impécunieuse ne devrait pas pouvoir en tirer argument pour se soustraire à la compétence arbitrale.
Dans l’arrêt Pirelli, la cour d’appel de Paris fait prévaloir le droit d’accès à la justice sur la force obligatoire du règlement d’arbitrage choisi par les parties. Pour mémoire, la cour d’appel annule sur le fondement des alinéas 4° et 5° de l’article 1520 du Code de procédure civile une sentence arbitrale qui a considéré le défaut de paiements des frais d’arbitrage par une partie en liquidation judiciaire comme conduisant au retrait de ses demandes reconventionnelles. Cette décision, qui a suscité des commentaires contrastés en doctrine, invite en tout cas les arbitres à une vigilance accrue sur les difficultés nées de l’impécuniosité d’une partie, sous peine de voir leur sentence annulée, et exhorte l’arbitrage à mettre en place ses propres réponses à l’impécuniosité d’une partie.

En matière d’arbitrage commercial, quelques pistes peuvent être évoquées. La création de fonds facilitant l’accès à l’arbitrage financés par les institutions d’arbitrage reste une voie possible. Une autre consiste à ce que les parties mettent en place un financement bancaire en cas de litige au moment de la conclusion de la clause compromissoire. Il est cependant très difficile d’imaginer des parties engager ensemble des frais pour un litige simplement éventuel. Une assurance protection juridiction peut également englober les honoraires des conseils et ceux des arbitres mais suppose aussi l’anticipation par la partie du risque de litige.

L’essor des sociétés de financement de procès
À côté de ce type de solutions dont le développement dépend en grande partie du rôle incitatif que peuvent jouer les institutions d’arbitrage, le financement par un tiers ou « Third-Party Funding » est une réponse apportée par la pratique.
Actives et bien ancrées dans les pays de Common Law, les sociétés de financement de procès dites « SFP » sont nées en Australie dans les années 1990. Elles proposent, en fonction d’un examen minutieux du dossier, de prendre à leur charge tous les coûts d’une partie relatifs à la procédure en l’échange d’un pourcentage significatif, le plus souvent entre 20 et 50 %, des sommes récupérées par la partie à l’issue de la procédure.
Le droit français n’a pas encore pris position sur la validité du contrat de financement de procès. Un jugement du Tribunal de commerce en faveur de la SFP allemande Foris a pu être considéré comme une première reconnaissance avant d’être infirmé par la cour d’appel de Versailles, qui a écarté la compétence du juge français sans porter d’appréciation sur la validité du contrat.
Le contrat de financement de procès évoque le pacte de quota litis, interdit à l’avocat désintéressé qui n’est autorisé à pratiquer un honoraire de résultat qu’à titre complémentaire. L’interdiction ainsi faite à l’avocat repose sur les principes essentiels de la profession qui ne sont pas applicables aux SFP. L’arbitrage international admet pour sa part le pacte de quota litis, conforme aux usages du commerce international, les arbitrages commerciaux internationaux d’envergure étant en pratique le terrain privilégié de développement des SFP.
Si les SFP peuvent favoriser l’accès à la justice, elles ne manquent pas de susciter des interrogations. La règle selon laquelle « Nul ne plaide par procureur », qui tend à garantir que la partie conserve la conduite et la responsabilité du litige, nous semble être de nature à encadrer l’activité des SFP plutôt qu’à l’interdire. Si la SFP doit se garder d’intervenir dans le choix du conseil, elle ne doit pas a fortiori se mêler de la désignation de l’arbitre. Au regard des obligations qui pèsent sur les avocats et les arbitres, la question de l’obligation pour la partie de révéler l’existence d’un contrat de financement de procès mérite d’être posée. Une autre inquiétude tient au fait que la SFP a un droit sur les gains de la partie financée sans être tenue d’aucun engagement sur ses pertes éventuelles à l’issue du procès.

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