Par Grégory Chastagnol, avocat associé, et Leslie Nicolaï, avocat. Fromont Briens
Le 1er janvier 2012, la mesure tombe comme un couperet : les sommes et avantages versés aux salariés par un tiers sont désormais soumis à contributions et cotisations de sécurité sociale, dont le tiers devra s’acquitter. Cette mesure va impliquer de nouveaux chefs de redressement Urssaf et nécessite la mise en place d’instrument de sécurisation afin de limiter les risques de redressement.

Le texte légal vise «toute somme ou avantage alloué à un salarié par une personne n’ayant pas la qualité d’employeur en contrepartie d’une activité accomplie dans l’intérêt de ladite personne». Les entreprises devront se contenter de cette définition peu claire, aucun texte n’étant venu apporter de précisions satisfaisantes. Seule la circulaire du 5?mars 2012 a tenté de préciser les conditions d’application. Elle dépasse à cette occasion les prévisions légales.

Axes de contestation ou de structuration envisageables

Le nouveau dispositif est limité à des bénéficiaires ayant la qualité de salarié, au sens du droit du travail. Les mandataires sociaux ou encore les professions libérales en sont donc exclus. Cette solution est critiquable et constitue une rupture d’égalité tant au regard des entreprises attributrices, dont les cotisations varient en fonction du statut des collaborateurs de ses clients, que des bénéficiaires, qui sont pourtant dans une situation identique au regard de l’entreprise attributrice. Juridiquement, la différence de statut ne peut constituer un élément pertinent justifiant la différence de traitement, compte tenu de l’objet visé par le texte. Cet axe de contestation pourrait être développé dans le cadre d’un redressement Urssaf, et faire l’objet d’une exception en inconventionnalité ou d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Ensuite, la notion de « contrepartie », visée par le texte légal et la circulaire, recouvre, selon nous, l’existence d’une action déterminée, c’est-à-dire d’un service rendu quantifiable et non d’une simple libéralité. Cette analyse se confirme par les termes employés par la circulaire, qui fait référence aux notions de « prescripteur » et « d’augmentation » du chiffre d’affaires. Dès lors que des avantages sont attribués dans le but unique d’entretenir de bonnes relations commerciales, à titre de libéralités, sans aucune action concrète en vue d’une prescription ou de l’augmentation du chiffre d’affaires, il ne s’agirait pas d’avantages en nature, mais plutôt de frais d’entreprise qui, quant à eux, sont exclus du champ d’application de la loi. Les frais d’entreprise sont des sommes, biens ou services correspondant à la prise en charge de frais exceptionnels, exposés dans l’intérêt de l’entreprise, en dehors de l’exercice normal de l’activité du salarié. Ces dépenses peuvent notamment être justifiées par le développement de la politique commerciale de l’entreprise. Est, par exemple, considéré comme un frais d’entreprise l’avantage procuré au salarié eu égard à sa participation à des manifestations organisées dans le cadre de la politique commerciale de l’entreprise (réception, cocktail, etc.), en dehors de l’exercice normal de son activité.
Pour opérer la distinction entre frais d’entreprise et avantages en nature on pourrait imaginer s’attacher au caractère « mesurable » du service rendu, par analogie aux solutions existantes en matière fiscale. L’avantage accordé en contrepartie d’un service rendu identifié et mesurable s’analyserait en une rémunération et sera par conséquent soumis à charges et cotisations sociales. Au contraire, l’avantage octroyé dans le but de maintenir de bonnes relations ou de promouvoir la société, sans que ceci puisse faire l’objet d’une appréhension objective, devrait être qualifié de frais d’entreprise et se voir appliquer le régime des libéralités.
Autre point de contestation, à titre d’exemple, s’agissant des voyages de stimulation : l’administration adopte deux positions contradictoires dans ses circulaires de 2012 et 2003, les considérant comme avantage en nature, s’agissant des salariés tiers à l’entreprise, mais comme des frais d’entreprise, pour les salariés de l’entreprise. Ce hiatus pourrait être exploité.

Diminution ou exonération de charges
En premier lieu, la personne tierce a la possibilité de charger l’employeur habituel d’effectuer la déclaration et le paiement des cotisations et contributions dues, sous réserve de la conclusion préalable avec ce dernier d’un accord écrit. Cette solution, bien qu’elle nous apparaisse théorique, dispenserait l’entreprise tierce de la déclaration et du paiement des cotisations. Une autre méthode envisageable, mais également peu praticable, consisterait à attribuer une enveloppe globale au partenaire commercial, qui la répartirait ensuite entre ses salariés, ce qui ferait peser sur lui la déclaration et le paiement des charges et cotisations sociales. En second lieu, la loi a mis en place un régime de contribution libératoire, applicable uniquement dans certains secteurs d’activité, permettant à l’entreprise de se voir exonérer de cotisations dans la mesure où le montant total des avantages accordés à un salarié sur l’année civile n’excède pas 15 % de la valeur mensuelle du Smic, et un montant de charges sociales fixé forfaitairement, par tranches, pour les avantages excédents cette valeur. Il existe également une tolérance administrative, s’agissant de l’octroi exclusif de titres cadeaux, qui sont alors soumis dans des conditions plus favorables que les conditions de droit commun. Enfin, les entreprises étrangères pourraient, dans notre analyse, en pratique, se dispenser de verser les contributions et charges sociales, bien que les textes ne prévoient pas cette faculté.
Les sommes et avantages versés par une entreprise étrangère doivent, en principe, être déclarés auprès de l’Urssaf du Bas-Rhin, au Centre national des firmes étrangères (CNFE), dans le cas où l’entreprise ne possède pas d’établissement en France, ou auprès de l’Urssaf ou de la CGSS dont elle dépend, dans le cas où elle dispose d’un établissement en France. S’agissant des sommes et avantages versés par des entreprises établies uniquement à l’étranger, à des salariés d’une entreprise tierce en France, il appartiendra à l’entreprise étrangère, en théorie, d’effectuer une déclaration auprès du CNFE. Toutefois, en pratique, bien qu’il existe des textes en ce sens5, il semble hypothétique que l’Urssaf du Bas-Rhin puisse effectuer un contrôle de la comptabilité étrangère de la société, dans la mesure où aucun instrument juridique de droit international ne le permet, et encore faut-il qu’aucune refacturation directe ou indirecte ne soit opérée à la charge des structures françaises.
En conclusion, les effets induits par la loi du 20 décembre 2010 invitent à revisiter la structuration juridique des cadeaux d’entreprise et doivent conduire à une vigilance accrue au stade des redressements Urssaf. C’est à ce prix que pourra être réduit ou modéré l’impact financier de cette réforme.

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