Par Richard Renaudier, avocat associé, et Violaine Ayrole, avocat. Cabinet Renaudier
Après la décision du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011 ayant posé une réserve d’interprétation à l’article L. 442-6 du Code de commerce, une décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 17 janvier 2012 a fait surgir des doutes sur l’efficacité de cette réserve. L’analyse de la décision du Conseil et des rapports entre les deux ordres de juridictions permet de clarifier la situation.

Dans sa décision du 13 mai 2011, le Conseil constitutionnel a considéré que l’article L.442-6 CCom, qui permet au Ministre de l’économie d’agir contre les distributeurs à la place et en l’absence de fournisseurs victimes de pratiques restrictives de concurrence, n’est conforme à la Constitution que sous réserve que « les parties au contrat ont été informées de l’introduction d’une telle action » par le Ministre. Plus récemment, une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 17 janvier 2012, validant le même article au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (la « Convention »), a fait surgir des doutes sur l’efficacité de la réserve constitutionnelle ainsi posée par le Conseil. Après un rappel de la portée de la décision du Conseil constitutionnel, son analyse par rapport à la décision de la CEDH permettra de clarifier la situation.

Rappel de la décision du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011 et précisions sur sa portée
Lorsque le Conseil constitutionnel valide un article de loi sous réserve d’interprétation, comme il l’a fait dans la décision du 13 mai 2011, cela implique que la réserve s’impose aux juges qui seront amenés à appliquer l’article (L.442-6 CCom en l’occurrence). À défaut, leur décision encourrait la cassation pour violation de la loi pour n’avoir pas fait la seule lecture conforme de cet article de loi à la Constitution.S’agissant de la portée de la décision, dans le Considérant n°1 de celle-ci, le Conseil a cité in extenso le second alinéa du paragraphe III de l’article L 442-6 CCom (qui liste toutes les demandes susceptibles d’être présentées par le Ministre) et a ensuite systématiquement repris ce texte dans les autres considérants par les termes « ces dispositions  » ou « les dispositions contestées », et ce jusque dans le Considérant n° 9 comportant la réserve d’interprétation. Il est donc clair que, selon le Conseil constitutionnel, le Ministre est tenu d’informer les fournisseurs de son action quelles que soient les demandes qu’il présente (cessation des pratiques, nullité, répétition de l’indu, amende civile…). Ainsi en a par exemple décidé le tribunal de commerce de Créteil, dans deux jugements du 13 décembre 2011, en déclarant irrecevables toutes les demandes du Ministre au motif qu’il ne pouvait « ni statuer de manière générale, ni statuer sur les contrats versés aux débats relatifs aux fournisseurs, en l’absence de preuve que lesdits fournisseurs ont été informés de l’action du Ministre ». S’agissant du moment auquel le Ministre est tenu de délivrer cette information, le Conseil rappelle, dans son commentaire au Cahier du Conseil constitutionnel publié en même temps que sa décision, la nécessité de « l’information des personnes directement intéressées et susceptibles d’intervenir pour défendre leurs intérêts » puis constate ensuite que « l’information de l’ensemble des parties au contrat dont l’annulation est demandée, préalablement, le cas échéant, à la demande en répétition de l’indu, n’était pas prévue par les dispositions contestées », d’où la réserve d’interprétation qu’il a posée. L’utilisation du terme « préalablement » induit que l’information des fournisseurs doit être délivrée par le Ministre préalablement à sa demande. En effet, informer les fournisseurs de manière préalable à l’introduction de l’action est le seul moyen de s’assurer que les fournisseurs seront en mesure d’intervenir valablement pour « défendre leurs intérêts », une information tardive pouvant être source d’inefficacité de la réserve. À cet égard, force est de constater que dans toutes les affaires dans lesquelles le Ministre demandait une condamnation pour « déséquilibre significatif  » qui étaient en cours au jour de la décision du 13 mai 2011, le Ministre a systématiquement renoncé à ses demandes de nullité et de répétition de l’indu car étant dans l’impossibilité d’apporter la preuve de la notification de l’introduction de son action aux fournisseurs concernés en temps utile et la jurisprudence a évoqué l’information «  préalable » des fournisseurs.

Analyse de la décision du Conseil constitutionnel par rapport à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 17 janvier 2012

Dans sa décision du 17 janvier 2012, la CEDH, saisie par un distributeur, note que le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation quant à la constitutionnalité de l’article L. 442-6, puis semble s’en écarter en affirmant que « quand bien même cette condition n’aurait pas été remplie à l’égard des fournisseurs, il n’est pas démontré que cela aurait causé un préjudice quelconque dans le chef de la requérante au titre des garanties de l’article 6 §1 dans la mesure où la requérante était libre d’attirer ses cocontractants à l’instance » (17/01/12, req. 51255/08). Certains ont cru pouvoir conclure que cette décision de la CEDH avait une valeur supérieure à celle du Conseil constitutionnel, ce qui dispenserait in fine le Ministre d’informer les fournisseurs. Or, les deux normes que sont la Constitution et la Convention, les deux juridictions que sont la CEDH et le Conseil caractérisent deux ordres juridiques différents autonomes et non hiérarchiques. La CEDH et le Conseil constitutionnel ont des missions différentes qui sont de s’assurer de l’absence de violation des principes définis dans les textes qu’elles ont la charge de faire respecter, à savoir la Constitution française pour le Conseil constitutionnel et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme pour la CEDH. Ainsi, lorsque la CEDH constate qu’une norme nationale est conforme à la Convention, cela ne signifie pas que cette norme est conforme à la Constitution. En conséquence, la décision de la CEDH de conformité de l’article L. 442-6 à la Convention ne remet pas en cause la décision du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011 et n’altère en rien la réserve émise par le Conseil constitutionnel sur cette disposition. Cette force obligatoire de la réserve vient d’ailleurs d’être confirmée par un arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2012 dans lequel est posé le principe, fondé expressément sur la décision du Conseil selon lequel « si le ministre chargé de l’économie est recevable à poursuivre la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés, c’est sous la condition que les parties au contrat aient été informées d’une telle action » (9/10/12, pourvoi n° 11-19833).

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