Par Jean-Christophe Grall, avocat associé. Grall & Associés
Ce premier arrêt de la cour de Paris (CA Paris, 4?juillet 2013, n°12/07651), seule cour d’appel aujourd’hui compétente pour ce type de litige, vient compléter la jurisprudence relative aux «?assignations Novelli?». En cause dans cette affaire, deux clauses insérées dans les conditions générales de distribution du Groupe EMC Casino, la première prévoyant un retour des invendus, la seconde relative aux changements de tarifs.

La clause de retour d’invendus est considérée contraire à l’ordre public économique au motif qu’elle impute au fournisseur la responsabilité de la totalité des invendus, et notamment le coût de la reprise. Il a été relevé que cette obligation de reprise ne faisait l’objet d’aucune contrepartie et qu’en outre, les fournisseurs ne possédaient aucun levier pour favoriser la vente de leurs produits.
La clause relative aux changements de tarifs permet aux fournisseurs de renégocier leurs tarifs en cours de contrat, le distributeur s’étant cependant aménagé la possibilité de refuser de telles augmentations ainsi que de modifier le référencement des produits concernés. De plus, le fournisseur s’oblige à baisser ses tarifs dès que le prix de l’un des composés de son produit a significativement baissé. De telles prévisions octroient ainsi une mainmise totale du distributeur sur le niveau des prix.
En application de l’article L.442- 6, III, al. 2 du Code de commerce, le Groupe EMC Casino a donc été condamné à une amende civile de 600 000?euros au titre de sa tentative d’imposer à ses partenaires un déséquilibre significatif par le truchement de ces deux clauses, portant ainsi atteinte à l’ordre public économique.

Une inconnue de moins : l’action du ministre est jugée recevable
• Cet arrêt apporte une précision importante sur la recevabilité de l’action du ministre et notamment sur :
- la capacité du ministre à exercer l’action sans en avertir les fournisseurs conformément à la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel : ainsi, dès lors qu’il ne fait que demander la cessation des pratiques illicites sans aller jusqu’à requérir la nullité, et peu important que l’action initiale ait prévu une telle annulation, le Ministre est libre d’agir sans en informer les fournisseurs.
« Dans ce contexte, lorsque le ministre de l’économie intervient pour faire reconnaître par l’autorité judiciaire que la pratique consistant à faire figurer certaines clauses dans un contrat, doit cesser, parce qu’elles sont de nature à instaurer un déséquilibre significatif entre les parties, il exerce une action qui lui est propre, visant à maintenir ou à rétablir l’ordre public économique. En ne demandant pas la nullité des contrats, ni toutes les conséquences qui en découlent, comme les restitutions et la réparation des préjudices éventuels, il n’intervient pas dans le champ d’action qui n’appartient théoriquement qu’aux parties et que le législateur a exceptionnellement ouvert au tiers qu’est le ministre à la condition qu’il informe les parties de cette action.
Il s’en déduit que lorsqu’il ne demande que la cessation des pratiques, le ministre peut agir sans en informer les parties aux contrats et que l’action de l’espèce est recevable, quand bien même aurait-elle initialement visé l’annulation des conventions concernées, pour être réduite, ensuite, à la seule cessation de la pratique consistant à faire figurer dans le contrat les clauses incriminées.?»
- le fait qu’il importe peu que la société mise en cause ait d’ores et déjà supprimé les dispositions litigieuses puisque la qualification d’une clause comme étant contraire à l’article L. 442-6 I 2° C. com par une juridiction porte effet pour l’avenir et empêche la réintroduction de celle-ci dans les contrats ultérieurs.
• En outre, la cour d’appel précise clairement les modalités d’appréciation du déséquilibre significatif en considérant que «?les juridictions auxquelles sont soumis des litiges concernant le respect de cette disposition doivent contrôler s’il résulte des pratiques, ou des clauses contractuelles, dénoncées, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et si les pratiques qui leur sont présentées sont imposées à l’une des parties au contrat, ou s’il en existe une tentative. Cette analyse, qui doit évidemment prendre en compte les cas d’espèces déférés et donc les situations particulières des parties en cause, ne saurait toutefois, par principe, interdire une appréhension plus globale d’un ensemble de situations lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, il est dénoncé un déséquilibre causé par certaines clauses d’un contrat type qui s’adresse indifféremment à des fournisseurs, dont certains sont davantage en situation de négocier que d’autres et quelles que soient les marchandises concernées. Par ailleurs, dans une telle situation, il peut être admis que le déséquilibre entre parties instauré par une clause puisse être corrigé par l’effet d’une autre, mais encore faut-il que cette situation de rééquilibrage soit démontrée. Enfin, dans la mesure où le texte précise que la tentative engage tout autant la responsabilité de son auteur que la mise en œuvre de la soumission d’un partenaire à un déséquilibre significatif, il importe peu qu’il ne soit pas démontré que la clause ait été appliquée, contrairement à ce que soutient la société EMC Distribution?».

L’économie générale du contrat doit être appréciée pour juger du déséquilibre significatif
À ce titre, est donc prévue par la cour la possibilité d’un rééquilibrage du contrat contenant une clause illicite. Ce rééquilibrage peut se faire par l’insertion d’une clause constituant «?une contrepartie sérieuse?» corrigeant le déséquilibre ou par la démonstration que la clause litigieuse est «?nécessaire à l’équilibre de la convention?» ou que «?d’autres avantages (qui) auraient permis d’apporter une compensation réelle?» ou bien encore que «?ce déséquilibre serait compensé par d’autres dispositions du contrat?». Il appartiendra à l’auteur du déséquilibre de rapporter la preuve de ces éléments.
• Enfin, en réponse à l’argument formulé par EMC Casino selon lequel il n’existe pas de cas où la clause avait réellement été mise en application la cour d’appel répond que «?le fait pour une enseigne de la grande distribution, d’inscrire une clause qui instaure un déséquilibre manifeste dans les droits et obligations des parties dans le contrat type qu’elle conclut avec tous ses fournisseurs, donne à cette clause la portée d’un principe auquel ces derniers ne peuvent déroger qu’au terme d’une négociation, ce qui n’est, dans beaucoup de cas, pas à leur portée. Le fait que l’Administration n’ait pas apporté la démonstration d’un cas concret d’application, étant à cet égard indifférent?».
• Le mois de septembre?2013 aura été très riche en décisions rendues sur le déséquilibre significatif et l’obtention d’un avantage financier non justifié ou disproportionné :
- Affaire Carrefour : Cour de cassation - chambre commerciale, 10?septembre 2013,
- Affaire Eurauchan : cour d’appel de Paris, 11?septembre 2013,
- Affaire Galec : cour d’appel de Paris, 18?septembre 2013,
- Affaire Galec : tribunal de commerce de Paris, 24?septembre 2013.


Prochains rendez-vous

02 octobre 2024
Sommet du Droit en Entreprise
La rencontre des juristes d'entreprise
DÉJEUNER ● CONFÉRENCES ● DÎNER ● REMISE DE PRIX

Voir le site »

02 octobre 2024
Rencontres du Droit Social
Le rendez-vous des acteurs du Droit social
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER  

Voir le site »

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

{emailcloak=off}

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2024