Par Bruno Platel, avocat associé. Capstan
L’ANI du 11 janvier 2013 prévoit la possibilité de conclure des accords de maintien de l’emploi destinés à apporter des réponses nouvelles en cas de difficultés économiques conjoncturelles. La loi dite de sécurisation de l’emploi transposant cet accord devrait prochainement permettre aux entreprises de conclure ces accords dans un cadre préétabli dont il importe de connaître les règles essentielles.

La négociation des accords de maintien de l’emploi suppose notamment d’identifier dans quel contexte ce type d’accord pourra être négocié, avec qui, quel sera le contenu de l’accord et ses effets vis-à-vis des salariés.

Dans quel contexte négocier ?
L’ANI du 11 janvier 2013 et le projet de loi prévoient expressément que la négociation d’un accord de maintien de l’emploi ne peut s’envisager qu’en cas de « graves difficultés économiques conjoncturelles dans l’entreprise ». La rédaction utilisée semble exclure la possibilité d’un accord qui serait négocié au niveau d’un établissement avec les délégués syndicaux d’établissement au vu d’une situation économique dégradée dans ce périmètre. On peut toutefois envisager la possibilité de conclure un accord au périmètre plus large notamment dans le cadre d’une unité économique et sociale ou d’un groupe. Pour éviter des négociations dans des situations économiques qui ne le justifieraient pas, il est prévu que le comité d’entreprise pourra désigner un expert-comptable afin notamment d’assister les organisations syndicales dans la phase de diagnostic de la situation économique préalable à la négociation.

Avec qui négocier ?

Le projet de loi conforme à l’ANI prévoit que l’accord pour entrer en vigueur doit être conclu par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant obtenu au moins 50 % des voix aux dernières élections des titulaires au comité d’entreprise. Sur le plan technique, cette condition plus restrictive que le droit commun de la négociation collective s’explique par les contreparties consenties par les salariés en application de l’accord. On peut toutefois regretter que le texte ne prévoie pas de solution de substitution en cas de blocage et notamment pas de recours au référendum. Le texte prévoit des dispositifs spécifiques lorsque l’entreprise est dépourvue de délégué syndical. Les solutions proposées qui reprennent des dispositifs déjà expérimentés à l’occasion de textes antérieurs (mandatement syndical) rendent le scénario de la conclusion de tels accords à défaut de délégué syndical assez peu réaliste. Là encore, on ne peut que regretter l’absence de dispositif simple d’accès au bénéfice des PME sans représentation syndicale qui peuvent être intéressées par la conclusion de ce type d’accords. 

Quel contenu ?
La loi a pour mérite de ne pas définir de manière précise le contenu des mesures ayant vocation à être adoptées pour faire face aux problèmes économiques conjoncturels rencontrés dans l’entreprise. En définitive, la négociation portera sur le triptyque rémunération/durée du travail/emploi, l’idée étant que l’adoption de certaines mesures relatives à la rémunération et à la durée du travail puisse être mise en œuvre en contrepartie d’un engagement de maintien de l’emploi pris par l’entreprise pendant une certaine durée au moins égale à la durée de l’accord. L’accord peut ainsi prévoir une augmentation temporaire de la durée du travail ou au contraire une baisse conjoncturelle de la durée du travail emportant une réduction des rémunérations ou encore des mesures de flexibilité nouvelles par la mise en place d’outils d’aménagement du temps de travail adaptés. L’examen des premiers accords conclus avant même la promulgation de la loi révèle une grande variété des mesures adoptées notamment sur la thématique durée du travail (réduction de nombre de JRTT notamment pour les cadres, redéfinition du temps de travail effectif, annualisation du temps de travail, etc.). La loi devrait reprendre dans le même contenu que l’ANI les mesures ne pouvant être négociées. Participent de ces interdictions les stipulations de l’accord qui réduiraient la rémunération horaire ou mensuelle du salarié en deçà de 120 % du Smic. De la même façon, l’accord ne pourra déroger à la législation relative au repos dominical et au repos hebdomadaire ainsi qu’aux durées maximales de travail. Enfin, l’accord devra impérativement prévoir un partage de l’effort entre les salariés d’une part et les dirigeants, mandataires sociaux ou non et les actionnaires d’autre part. On peut notamment envisager à ce titre la baisse ou la suppression de la rémunération variable des dirigeants ou une décision de l’assemblée générale de ne pas distribuer de dividendes pendant la durée d’application de l’accord.

Quels engagements de l‘entreprise en matière d’emploi ?

La validité de l’accord est subordonnée à l’engagement de l’employeur de ne pas procéder à la rupture du contrat de travail pour motif économique des salariés auxquels l’accord s’applique. La loi complète l’ANI sur ce point en prévoyant la nécessité d’intégrer dans l’accord une clause pénale applicable en cas de non-respect des engagements de l’entreprise, notamment sur l’emploi qui en pratique prendra la forme de l’octroi de dommages et intérêts dont le montant et les conditions de versement devront avoir été prévus dans l’accord lui-même. On peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de cette exigence d’origine législative non prévue par l’ANI qui sera inévitablement de nature à rendre plus complexe la négociation de l’accord en amont et qui n’est a priori pas de nature à sécuriser les parties, le juge judiciaire demeurant compétent pour augmenter ou réduire le montant s’agissant d’une clause pénale.

Refus du salarié : quelles conséquences ?

La loi devrait reprendre fidèlement l’ANI en prévoyant que les salariés qui acceptent l’accord voient les clauses de leur contrat de travail contraires à l’accord suspendues pendant la durée de son application. Pour le salarié qui refuse l’application de l’accord, celui-ci fera l’objet d’un licenciement pour motif économique qui aura, par l’effet de la loi, une cause réelle et sérieuse. Afin d’éviter la mise en place d’un PSE que l’accord s’emploie à éviter, la loi prévoit que le licenciement pour motif économique aura un caractère individuel quel que soit le nombre de refus. Le salarié aura donc droit dans les entreprises de plus de 1 000 salariés au congé de reclassement et aux mesures d’accompagnement que devra prévoir l’accord au bénéfice des salariés ayant refusé l’application de l’accord.

Quid en cas d’impossibilité d’appliquer l’accord ?
La loi complète l’ANI sur ce point et prévoit notamment la possibilité pour l’un des signataires de l’accord de saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés. Le président du tribunal de grande instance sera amené notamment à apprécier si les engagements souscrits notamment en matière d’emploi sont exécutés de manière loyale et sérieuse ou de manière plus générale l’évolution de la situation économique de l’entreprise. La loi prévoit que le juge pourra décider de suspendre l’accord ou de fixer le délai au terme duquel celui-ci autorisera, selon la même procédure, la poursuite de l’accord ou au contraire en suspendra définitivement les effets.

Quelles perspectives ?
Mesure largement médiatisée par la signature de quelques accords précurseurs et par la virulence des réactions d’hostilité émanant de leurs opposants, on peut saluer le volontarisme des signataires de l’ANI qui ont prévu pour la première fois la possibilité de négocier des accords ayant pour objet de faire face aux problèmes de compétitivité tout en prévoyant des garanties en matière d’emploi. Au vu des conditions de validité de l’accord retenues par l’ANI et de la limitation de ce type d’accords aux entreprises pouvant estimer rencontrer des difficultés économiques dites conjoncturelles, il est peu probable que ces accords se généralisent et évitent la mise en place de mesures plus classiques de réduction des effectifs.



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