Maître Eolas* : « La procédure pénale est un train sur des rails amenant à la condamnation »
Maître Eolas*, avocat au barreau de Paris, auteur d'un blog juridique à succès Journal d'un avocat.
*Maître Eolas est un pseudonyme.
Décideurs. En France, il est possible de placer en garde à vue un individu « pour les nécessités de l'enquête, s’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre une infraction ». Ces critères d’appréhension ne sont-ils pas trop flous et subjectifs ?
Me. Eolas. Toute la question est celle de savoir quelle marge de manœuvre détient tant l’officier de police judiciaire (OPJ) que l’avocat. Le débat actuel fait appel aux valeurs fondamentales de la démocratie. Il mériterait d’une part davantage de sérénité, surtout à deux ans d’une élection présidentielle, et d’autre part que l’on sorte du conflit avocats-policiers. Les syndicats de police se plaignent de l’image de tortionnaires que l’on donnerait d’eux, alors que tel n'est pas le cas. Pendant ce temps, le vrai débat n'a pas lieu.
Aujourd’hui, ce n’est pas le dispositif de la garde à vue en lui même – qui est créateur de droits, dont protecteur du gardé à vue – qui est contesté, mais bien son encadrement. Eviter le menottage et les fouilles humiliantes avec mise à nu par exemple. Or, désormais, les OPJ se retrouvent débordés et optent pour une sorte de loi de l’ennui minimum. Résultat : on garde à vue à tout va, avec fouille et menottage systématiques?! On est loin de l’esprit de départ, celui de conserver les preuves et de garder à vue les suspects. Et l’OPJ se retrouve en quelque sorte doté d’un pouvoir quasi souverain. À côté, le juge d'instruction, qui depuis la loi du 8 décembre 1897 ne peut voir un individu sans que son avocat soit présent et ait eu accès au dossier, fait pâle figure.
Décideurs. Comment parvenir à concilier le bon déroulement des besoins de l’enquête par les officiers de police judiciaires et le nécessaire respect des libertés du gardé à vue ?
Me. E. Menottes et humiliations obligent, on oublie trop vite que la garde à vue est un statut protecteur de droit. Alors, quel intérêt à faire ôter ses lunettes à un gardé à vue ? Pourquoi lui interdire de patienter quinze heures durant avec un livre, par exemple ?
Il est nécessaire que l’encadrement de la garde à vue soit conforme aux grands principes qui régissent notre démocratie. Les conditions matérielles dans lesquelles s’exerce ce dispositif constituent le problème majeur. D’ailleurs, après le suspect, c’est bien la police qui est la victime de cet état de fait !
Reste que ces conditions dépendent du seul OPJ. Or, la décision de placement en garde à vue est purement subjective. Elle n’est pas contestable. À la différence des pays anglo-saxons, l’habeas corpus n’existe pas en France.
Décideurs. La culture politique actuelle, issue du management privé (notation, chiffre et résultat) symbolise le reproche fréquemment évoqué pour expliquer le nombre grandissant de gardes à vue. Partagez-vous ce point de vue ?
Me. E. La politique du chiffre est assurément la raison majeure de la hausse massive du nombre de gardes à vue. En voulant évaluer les performances de l’administration, on a forcé le recours à la garde à vue. Résultat : les meilleurs commissariats, c'est-à-dire ceux qui assureront le plus de garde à vue, seront les mieux dotés en matière budgétaire (ce qui inclut les primes).
Certains syndicats de police évoquent également les gardes à vue de confort, faute de moyen suffisants pour envisager des déplacements et interrogatoires hors des locaux. Pourtant, qu’y a-t-il de dramatique à laisser un individu suspect dehors ? Faut-il obligatoirement et préalablement l’enfermer?? Pour la société, il est inconcevable que cet individu puisse demeurer à l’extérieur. Seulement le jour où un des membres de cette même société se retrouvera entre les quatre murs d’une cellule dans un commissariat pour n’importe quel prétexte, elle réalisera que la garde à vue systématique n’a plus sa vocation protectrice.
Décideurs. Faites-vous un lien entre la suppression du juge d’instruction et la réforme de la garde à vue ?
Me. E. Le socle commun à ces deux réformes est celui de la procédure pénale. N’en déplaise aux magistrats et professeurs, la procédure pénale est un train sur des rails amenant à la condamnation. Une machine à condamner. La sous-traitance de l’instruction à la police montre ses limites. Il y a longtemps que le juge d’instruction est contourné par l’expertise de la police. D’ailleurs, 95 % des affaires s’opèrent déjà sans lui !
Décideurs. Le gardé à vue est-il suffisamment informé de ses droits ?
Me. E. Seul l’avocat de la défense peut faire dérailler le train de la condamnation. Or, dans la majorité des gardes à vue, les suspects ne manifestent pas le souhait d’un avocat. Non que ça soit inutile, mais ils ignorent le plus souvent que c’est gratuit ! Sans lui, ils oublient également leur droit le plus élémentaire : celui de garder le silence. La jurisprudence Miranda a instauré aux États-Unis le prononcé d’un avertissement lors de l’arrestation d’un individu, lui signifiant son droit au silence et à bénéficier d’un avocat. En France, le droit au silence existe toujours. Seulement il n’est plus notifié au détenu depuis 2002 (Loi Perben I). Le législateur français craint-il que cette notification favorise l’impunité ? Dès lors, on se retrouve avec des suspects qui, paniqués ou persuadés de ruser, s’empêtrent dans des mensonges. Or, ce ne sont que des bombes à retardement pour eux mêmes, qui ne font pas progresser l'enquête.