Par Philippe Garcia, avocat associé, Capstan Avocats


Par deux arrêts du 17 décembre 2014 la Cour de cassation illustre une nouvelle fois le décalage abyssal qui sépare les juges de la Tour d’ivoire et la réalité économique et sociale quotidienne des entreprises obligées d’exercer leur activité exclusivement sur le sol français, les autres ayant déjà choisi une autre solution.

Le droit à la santé et au repos est réaffirmé comme étant au nombre des exigences constitutionnelles.

Dans le premier arrêt, la Cour de cassation confirme un arrêt sanctionnant une entreprise ayant contractualisé une convention de forfait en jours avec un ingénieur alors qu’aucun accord collectif ne déterminait les conditions de travail et notamment de durées maximales de travail.
Ces conditions étaient fixées par une note de service qui prenait appui sur un accord de branche incomplet (Cass. Soc. 17 décembre 2014 n°13-23.230).

Dans le second et alors même que la société est en liquidation judiciaire et que la Cour d’appel a cantonné la durée du travail réellement effectuée à une juste réalité, la Cour de cassation décide qu’à compter d’un mois accompli à temps plein une salariée à temps partiel doit voir son contrat requalifié à temps complet, malgré des relevés précis indiquant le contraire et un autre travail chez un autre employeur sur la période…(Cass. Soc. 17 décembre 2014, n°13-20.627).

Message aux entreprises : ne concluez plus de contrats de travail contenant des conventions de forfaits en jours si vous ne disposez pas du temps et des moyens nécessaires à la conclusion d’un accord collectif plus complet que celui prévu par la Loi (art. L.3121-39 code du travail) et n’augmentez plus la durée du travail des salariés à temps partiel au-delà de la limite maximale autorisée, sans, surtout, jamais atteindre 35 heures de travail effectif.

En réalité, les cadres sont demandeurs des conventions de forfaits en jours et il suffit que les limites légales ou conventionnelles soient respectées pour que tout le monde travaille heureux.

Ils préfèrent ces conventions à des conventions en heures sur le mois qui les obligent à être présents sur leur lieu de travail sans parfois de réelle nécessité, tout en se privant de jours de repos leur permettant souvent de rentrer chez eux s’ils travaillent éloignés de leur domicile familial.

Pour quelle raison ce qui est fixé dans la Loi doit-il être à nouveau fixé dans un accord collectif ?

L’article L.3121-39 du Code du travail ne prévoit en effet pas que l’accord collectif doit prévoir le rappel des durées maximales légales de travail…
Il suffirait de prévoir que la règle soit rappelée et appliquée qu’elle qu’en soit la forme.

En réalité, les salariés à temps partiel sont en grande majorité demandeurs d’heures complémentaires et peuvent parfaitement refuser d’en accomplir s’ils ont un autre travail ou s’ils souhaitent privilégier leur vie familiale. Sanctionner durement les employeurs pour avoir privilégié un salarié à temps partiel désireux de gagner davantage à une autre embauche à temps partiel, pour compléter les heures à réaliser, a pour effet immédiat de frustrer les salariés à temps partiel et à accorder à la clientèle un service de mauvaise qualité.

En l’espèce, la salariée conduisait des cars : l’employeur devait-il embaucher pour quelques heures un autre conducteur de cars ? Devait-il considérer que la salariée, pour avoir effectué un temps complet sur un mois devait être payée ensuite à temps complet sans avoir assez de travail à lui fournir ?

Un conducteur de cars ne se trouve pas à la volée et l’employeur n’avait d’autre choix que de refuser la prestation, s’il le pouvait, pour éviter ces conséquences négatives.

En l’espèce, la société étant liquidée ce sont les assurances de garanties des salaires (c’est-à-dire la collectivité) qui paieront les heures que la salariée n’a jamais effectué…

Bilan de ces décisions confirmant la position prise par la Cour suprême en matière de durée du travail : des entreprises bloquées par rapport au marché, des salariés frustrés ou payés sans avoir travaillé, et finalement des employeurs qui licencient les cadres devenus trop chers et trop rigides ou n’accordent plus d’heures complémentaires aux salariés à temps partiel devenus trop dangereux…
Ces personnes pourront préserver leur santé chez elles… sans travail.

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