par Lucien Flament, avocat. CMS Bureau Francis Lefebvre
Bien que fréquemment sollicitée dans les contentieux individuels de travail, la notion de vie personnelle reste difficile à appréhender en pratique. Plusieurs décisions récentes permettent d’en dessiner plus nettement les contours et pour la première fois semblent offrir un mode d’emploi pour les employeurs, même si des interrogations subsistent.

«?Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée
?». La formule inaugurée par l’arrêt Nikon du 2?octobre 2001 n’a jamais été démentie depuis. La Cour de cassation a dégagé plusieurs règles : un employeur ne peut prendre connaissance des éléments personnels reçus ou conservés par le salarié sur son lieu de travail (i), un salarié peut exercer sur son lieu et temps de travail des activités relevant de sa vie privée (ii), un salarié
ne saurait être sanctionné pour des faits tirés de sa vie personnelle (iii). Des décisions récentes apportent des précisions utiles pour la pratique.

Une présomption de caractère professionnel
Qui dit outils professionnels dit vie professionnelle. Revêtent ainsi un caractère professionnel : les appels téléphoniques, les connexions Internet, les sms envoyés sur le lieu et temps de travail, de même que les documents, courriers, mails ou fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels dans leur intitulé. L’employeur est en droit d’ouvrir ces fichiers professionnels sans la présence de l’intéressé ou sans même l’avoir prévenu.
Mais quelle attitude adopter devant un mail dont le titre ne fait pas apparaître la mention «?personnel?» mais dont le contenu relève à l’évidence de la vie privée ? Par des décisions des 5?juillet et 18?octobre 2011, la Cour de cassation vient d’apporter une réponse claire : si l’employeur peut consulter les courriels, il ne peut les utiliser pour sanctionner le salarié. Toutefois la notion de contenu professionnel semble être appréciée de façon plutôt large par la jurisprudence : dès lors que l’activité professionnelle ou l’employeur est évoqué, le message ne revêt pas de caractère privé. Par contre, la correspondance amoureuse du salarié est d’ordre privé.

Malgré cette clarification, des interrogations subsistent. S’agissant des documents identifiés comme personnels, quelle procédure est applicable pour les consulter, afin de les utiliser ? Le recours aux mesures prévues par l’article 145 du code de procédure civile est-il nécessaire ?
Rappelons que cet article permet à tout intéressé de demander toute mesure d’instruction légalement admissible s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. La Cour de cassation a jugé que le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de cet article. Un huissier peut ainsi être mandaté par le juge pour prendre connaissance de messages personnels contenus dans l’ordinateur du salarié, par exemple lorsque l’employeur a des motifs légitimes de suspecter des actes de concurrence.

L’exercice raisonnable de la vie privée
Le salarié peut exercer au temps et au lieu de travail des activités relevant de sa vie privée et la Cour de cassation semble se refuser à exercer tout contrôle de moralité. Un salarié peut donc recevoir des revues échangistes, échanger des mails ou des photographies érotiques avec une autre salariée consentante, ou encore conserver sur son ordinateur des photos pornographiques en nombre limité dès lors qu’elles ne comportent aucun caractère délictueux et qu’aucun «?usage abusif affectant le travail?» du salarié n’est constaté.
Attention aux utilisations déraisonnables ! La trop longue consultation de messageries téléphoniques, de sites Internet ou de fichiers non professionnels est susceptible de justifier une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave.
En outre, rappelons l’interdiction de tout harcèlement sexuel ou moral ainsi que l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur en cette matière.

La sanction d’un fait tiré de la vie personnelle
Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement. Ce principe connaît cependant trois exceptions principales.
La jurisprudence évoquait traditionnellement le trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise permettant un licenciement non disciplinaire. Cependant, l’existence d’un tel trouble est de plus en plus rarement reconnue par les juridictions.
Plus récemment la chambre sociale a ouvert d’autres perspectives dans le cadre du manquement à une obligation professionnelle ou d’un rattachement à la vie
professionnelle.

Un licenciement disciplinaire peut être prononcé si le comportement de l’intéressé constitue un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail. Tel n’est pas le cas du retrait du permis de conduire comme l’a jugé la Cour de cassation le 3?mai dernier. Par contre le salarié qui, pendant un arrêt maladie, exerce une activité concurrente à celle de l’employeur manque à son obligation de loyauté, surtout lorsqu’il fait appel pour l’aider à d’autres salariés de l’entreprise.
Certains comportements, même intervenus en dehors du temps et du lieu de travail, se rattachent néanmoins à la vie professionnelle dès lors qu’ils ont des conséquences sur d’autres salariés ou portent atteinte à l’image de l’entreprise, comme un vol effectué le week-end avec un camion de l’entreprise.

Une décision doit être retenue en particulier, celle rendue par la Cour de cassation le 19?octobre dernier. Elle juge que les propos et attitudes du salarié à l’égard de personnes avec lesquelles il est en contact en raison de son travail ne relèvent pas de sa vie personnelle. Cette solution permet aux employeurs de sanctionner les salariés coupables de violences dans leur vie privée et qui rencontrent quotidiennement leur victime sur leur lieu de travail.

In fine
, si la chambre sociale préserve la vie personnelle, elle semble vouloir fixer des limites à la protection qui y est attachée, par une conception extensive du message à contenu professionnel, un contrôle attentif de l’usage raisonnable des outils professionnels et un développement des possibilités de sanction pour un fait tiré de la vie personnelle.

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