Un avocat – Xavier Marchand – et un directeur juridique – Matthieu Guérineau – exposent leur point de vue en faveur du statut de l’avocat en entreprise.
Le projet de création de l’avocat en entreprise est bloqué. Il y a quelques semaines, Denis Musson, président du Cercle Montesquieu, avait appelé les cabinets français à prendre position publiquement pour sa création. Xavier Marchand, managing partner du cabinet d’avocats Carakters, et Matthieu Guérineau, directeur du département contrats du groupe Servier, lui répondent.

Décideurs. Comment comprenez-vous le blocage du CNB face à l’avocat en entreprise ?
Matthieu Guérineau.
Ce blocage vient probablement d’une mauvaise compréhension de la part de certains avocats. Le CNB craint que les juristes puissent prendre le business de l’avocat. Or, loin de réduire le rôle des avocats auprès de l’entreprise, la création de l’avocat en entreprise va renforcer la présence du droit dans l’entreprise. Avec une vocation généraliste, il aura le réflexe de faire appel à ses confrères pour sécuriser les opérations de l’entreprise dans des domaines qu’il maîtrise moins, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les avocats avec lesquels je travaille y sont tous favorables.
Xavier Marchand. Tous les avocats d’affaires sont favorables à ce statut. Nous l’indiquons au quotidien aux dirigeants avec lesquels nous travaillons. À titre personnel, j’ai œuvré pour le rapprochement des professions d’avocat et de juriste d’entreprise, à la suite du malentendu sur le Commissariat au droit, en rétablissant le dialogue entre le bâtonnier de Paris, Hervé Delannoy, ancien président de l’AFJE, et Denis Musson, président du Cercle Montesquieu.
Les chiffres sont également parlants : à nous tous, avocats et juristes d’entreprise réunis, nous sommes 80 000 personnes à faire du droit, un chiffre bien inférieur à nos voisins européens proportionnellement au nombre d’habitants. Le marché du droit n’est pas saturé, il y a de la place pour tout le monde. Les entreprises ont besoin de droit, les avocats et les juristes d’entreprise continueront quoi qu’il en soit à collaborer, d’autant plus que la différence statutaire est ténue.

Décideurs. Denis Musson, président du Cercle Montesquieu, a appelé au boycott des cabinets français qui ne prendraient pas position officiellement pour l’avocat en entreprise. Qu’en pensez-vous ?
X. M.
Denis Musson a voulu frapper fort mais peut-être s’est-il trompé de cible. Avec cette injonction, il menace les cabinets d’avocats qui travaillent avec les entreprises alors qu’ils sont tous favorables à l’avocat en entreprise. Les sceptiques sont les avocats qui méconnaissent concrètement les entreprises. Ceux-là ne se sentiront donc jamais menacés par l'appel au boycott.
En revanche, un argument, souvent opposé par ceux qui ne connaissent pas le juriste d’entreprise, me semble avoir été soulevé avec pertinence : celui de l’indépendance. Le procès fait aux juristes d’entreprise de ne pas être indépendants, contrairement à l’avocat qui le serait statutairement, est totalement artificiel. L’indépendance est avant tout un état d’esprit et la conséquence d’une liberté économique. Il me paraît difficile de soutenir que les avocats dont le chiffre d’affaires provient à plus de 60 % de la protection juridique, de l’aide juridictionnelle ou d’un seul client, seraient plus indépendants qu’un juriste dont les avis sont respectés au sein de son entreprise. Rappelons encore que 40 % des avocats sont des collaborateurs dont l’indépendance reste, sinon théorique, à tout le moins encadrée.
La plupart des avocats réellement indépendants sont les avocats d‘affaires car notre taille nous le permet. Et pourtant, nous sommes les plus ouverts au rapprochement.
Enfin, Denis Musson et Stéphanie Fougou [présidente de l’AFJE] ont raison lorsqu’ils indiquent que le droit est un instrument de négociation et de pression dans l’entreprise. Il faut donc favoriser son déploiement, ce qui ne peut se faire que si les juristes et les avocats sont unis pour parler d’une seule voix. L’utilité de la fusion est une question du passé. Reste en revanche à s’attaquer aux points de détail qui posent des problèmes concrets : la fusion des régimes de retraite, le financement des écoles des avocats, le régime de l’avocat en entreprise, etc.

Décideurs. Cependant, rares sont les avocats à avoir pris position publiquement pour l’avocat en entreprise. Pourquoi ne pas l’avoir fait ?
X. M.
Certains des avocats qui ont pris publiquement position pour l’avocat en entreprise ont répondu à l’appel de Denis Musson de façon opportuniste. Nous ne les avons jamais rencontrés par le passé dans les démarches de rapprochement des professions.
Notre engagement ne s’est pas fait publiquement mais nous sommes présents au quotidien aux côtés de nos clients pour les soutenir dans leur démarche avec des rencontres, des déplacements et des conférences communes. Stéphanie Fougou a raison de mener son combat contre les patrons qui sont opposés au secret professionnel [sous-entendu une indépendance totale] ; celui-ci est indispensable pour que les directeurs juridiques aient une vraie valeur ajoutée aux côtés des directions générales. Il est tout de même très regrettable que les directeurs juridiques français ne parviennent pas à avoir autant de pouvoir qu’en Angleterre ou en Allemagne.

Décideurs. Pensez-vous que la création de l’avocat en entreprise peut refaire surface ?
M. G.
Nous avons incité nos dirigeants à signer la pétition conjointe de l’AFJE et du Cercle Montesquieu pour soutenir l’avocat en entreprise devant les instances gouvernementales. Nous poursuivons donc notre travail de conviction.
X. M. L’agenda politique des avocats n’y est plus favorable. La campagne électorale pour le bâtonnat va concentrer l’attention sur des sujets plus vendeurs. L’avocat en entreprise continue à inspirer la crainte et ne refera surface que si le futur bâtonnier le reprend. Le sujet connaît par ailleurs deux écueils : la position en retrait du Medef, qui veut clairement garder la main sur les juristes d’entreprise, et la difficulté à évangéliser le barreau traditionnel. Par ailleurs, avec 16 000 juristes en France, dont au moins la moitié dans les grands groupes, il y a trop peu de relais en entreprise.

Décideurs. Si l’avocat en entreprise était instauré, les étudiants en droit souhaitant exercer en entreprise devront-il passer le Capa ?
M. G.
Il est vrai que l’entreprise sera naturellement incitée à privilégier le candidat qui bénéficie de ce statut puisqu’il lui octroie le secret professionnel et que deux statuts différends de juristes dans l’entreprise seront instaurés.
Cela n’aura pas d’impact sur leur rémunération. Aujourd’hui, nous embauchons à la fois des juristes anciens avocats et d’autres qui ne le sont pas et nous n’avons pas pour autant créé des grilles de rémunération distinctes. Les élèves juristes qui veulent exercer en entreprise auront toujours le choix de faire l’école d’avocat ou non, d’autant plus que la passerelle entre les deux professions sera renforcée pour faciliter l’accès au statut d’avocat après quelques années d’exercice en entreprise.

Propos recueillis par Pascale D’Amore

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