Par Eric Hebras et Olivier Galerneau, avocats associés. Genesis Avocats
Les contrôles fiscaux n’échappent pas aux modes et ces dernières années nous pouvons relever le recours de plus en plus systématique, par les services vérificateurs, aux pénalités pour manquement délibéré et, de fait, le juge administratif a eu, cette année, très régulièrement l’occasion de se pencher sur les conditions dans lesquelles celles-ci doivent être motivées et d’en circonscrire plus étroitement le champ d’application.

Rappelons que l’article 1729 a. du CGI prévoit l’application d’une majoration de 40 % pour manquement délibéré qui vient sanctionner « les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’État ».

L’élément intentionnel : pierre angulaire de la pénalité
La mise en œuvre de la pénalité de 40 % implique que l’Administration caractérise la « mauvaise foi » du contribuable  qui suppose, en application d’une jurisprudence constante, la réunion de deux conditions : un « élément matériel », l’omission ou l’insuffisance de déclaration et, un « élément intentionnel », l’intention délibérée du contribuable d’éluder l’impôt. Si le premier élément, qui découle de la simple constatation de l’omission, ne soulève pas de difficulté, l’élément intentionnel est en revanche plus délicat à définir dès lors qu’il vise à apprécier le comportement du contribuable. Ce dernier critère oblige l’Administration à ne pas se limiter à prendre en considération l’importance des sommes éludées.

Deux arrêts récents de la cour administrative d’appel de Paris  ont ainsi sanctionné l’Administration fiscale au motif que l’intention du contribuable d’éluder l’impôt n’était pas démontrée et que l‘administration fiscale ne pouvait se contenter de se fonder sur l‘importance des minorations de recettes et sur l’absence de conservation des pièces justificatives pour fonder l’application desdites pénalités.

Le comportement du contribuable au moment du contrôle fiscal n’entre pas en ligne de compte

En premier lieu, l’Administration doit, pour établir le caractère intentionnel du manquement du contribuable, se placer au moment de la déclaration ou de la présentation de l’acte comportant l’indication des éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt. Le Conseil d’État a, ainsi, récemment rappelé que le comportement du contribuable lors du contrôle fiscal ne peut constituer en aucun cas un élément permettant de motiver la pénalité de 40 %, seul son comportement au moment du dépôt des déclarations pouvant être pris en compte. Elle doit ensuite démontrer que le contribuable a agi sciemment dans l’intention d’éluder l’impôt.

Le caractère répété de l’infraction suppose une identité de contribuable, de dirigeants ou d’associés
Sans établir une liste exhaustive, on peut relever que l’Administration appliquera systématiquement la pénalité dès lors qu’elle pourra établir le caractère répétitif du comportement du contribuable. Le Conseil d’État estime en effet que les manquements délibérés sont caractérisés lorsque les agissements ont déjà été constatés lors d’une précédente vérification ou lorsque des pratiques irrégulières ont déjà été signalées au contribuable lors d’une vérification antérieure. Encore faut-il que le bien-fondé des précédents rehaussements ne soit pas, à cette date, toujours contesté par le contribuable. Dans ces situations, le contribuable a nécessairement eu connaissance des faits ou des situations qui motivent les rappels. Néanmoins, pour caractériser cette intention délibérée, qui suppose de prendre en considération le comportement du contribuable, il est, selon nous, nécessaire que le contribuable soit celui qui avait déjà eu connaissance des faits reprochés. À cet égard, il importe, conformément à une jurisprudence constante, de tenir « compte de la personne qui commet l’omission » ou l’insuffisance de déclaration.

Ainsi, dans une affaire où une société de personnes, dont le contribuable était associé, avait fait l’objet d’un redressement pour avoir déduit des frais financiers sans caractère professionnel, le Conseil d’État a estimé que le caractère répété de l’irrégularité commise, et donc l’intention délibérée, était établi « eu égard au fait qu’un redressement pour le même motif avait été notifié à la SCP, dont M. A était déjà un des associés, au titre des années 1977 à 1980». En d’autres termes, en l’absence de modification de la situation du contribuable, ce dernier étant associé de la SCP lors des deux contrôles fiscaux, il pouvait être établi que le contribuable ne pouvait ignorer ses obligations fiscales.

Plus récemment, dans une affaire où l’Administration entendait justifier l’application de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré au motif que la société avait déjà fait l’objet d’un redressement de même nature au titre de l’exercice clos en 2000, la cour administrative d’appel de Versailles  a prononcé la décharge de cette pénalité de 40 % en relevant que la société, objet du litige, avait été créée suite à l’absorption d’une autre société en 2003.

La société absorbante étant distincte de la société absorbée, il ne pouvait lui être reproché de connaître les agissements de cette dernière. En effet et comme le souligne la cour administrative d’appel de Versailles dans la décision précitée, la répétition d’agissements ne peut être invoquée par l’Administration pour justifier la pénalité de 40 % qu’en l’absence de toute modification dans la situation du contribuable. Partant, dans l’hypothèse où tant les équipes dirigeantes, que les associés ne seraient plus les mêmes, l’application des pénalités pour manquement délibéré ne serait selon nous plus justifiée, quand bien même il s’agirait de la même société.

Il appartient donc à l’Administration afin de caractériser l’existence d’une intention délibérée au niveau de la société de vérifier si la société qui a commis ces erreurs répétées était bien dirigée ou contrôlée par les mêmes personnes, ce qui, seul, pourrait traduire « l’accomplissement conscient d’une infraction ».

Face à une position de l’administration fiscale qui consiste, de manière de plus en plus récurrente, à employer l’arme des pénalités pour manquement délibéré pour faciliter la conclusion de transactions, reste à espérer que la multiplication de jurisprudences favorables au contribuable incitera celle-ci à adopter une attitude plus mesurée en la matière.


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