Par Charlotte Bertrand, avocat associée. Fromont Briens
Alors qu’elle ne représente qu’un seul article dans un ANI qui en comprend vingt-huit, la généralisation des complémentaires santé a suscité de vifs débats au Parlement lors de sa transposition légale, principalement sur l’épineuse question des clauses de désignation d’organisme assureur. D’autres aspects moins polémiques, probablement car moins appréhendés, méritent néanmoins qu’on y regarde de plus près.

L’ANI du 11?janvier 2013 marque un tournant important dans le droit de la protection sociale complémentaire. Les deux premiers articles de cet accord visent d’une part, la généralisation des couvertures complémentaires de frais de santé au profit de l’ensemble des salariés des entreprises françaises et d’autre part, l’amélioration du dispositif de portabilité prévoyance initialement institué par l’ANI du 11?janvier 2008.
A titre liminaire, on rappellera que ce texte dispose en son article?27 qu’il n’entrera en vigueur qu’à «?l’adoption de l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires nécessaires à son application?». Lesdites dispositions législatives sont toujours en cours de débat au jour de la rédaction de ces lignes.

Sur la généralisation des complémentaires santé
L’ANI du 11?janvier 2013 a pour objet d’imposer aux branches professionnelles d’ouvrir des négociations sur la mise en place de régimes complémentaires et obligatoires de remboursement des frais de santé et ce, avant le 1er?avril 2013. Le projet de loi décale cette date d’ores et déjà dépassée au 1er?juin prochain.
Parmi les thèmes sur lesquels les partenaires sociaux des branches professionnelles sont incités à négocier, figure la délicate question du choix de l’organisme assureur, laquelle a déclenché de vastes polémiques ces derniers mois. Alors que l’ANI impose aux partenaires sociaux des branches de «?laisser aux entreprises la liberté de retenir le ou les organismes assureurs de leur choix?», le projet de loi adopté à l’Assemblée Nationale prévoit quant à lui que la négociation doit porter sur «?les modalités de choix de l’assureur?» tout en examinant «?les conditions, notamment tarifaires, dans lesquelles les entreprises peuvent retenir le ou les organismes assureurs de leur choix, sans méconnaître les objectifs de couverture effective de l’ensemble des salariés des entreprises de la branche et d’accès universel à la santé?». Bien évidemment, la différence n’est pas que rédactionnelle. Elle détermine la validité future des clauses de désignation et interroge sur les règles de coordination applicables entre l’ANI et sa loi de transposition. À ce titre, force est d’admettre qu’un accord national interprofessionnel est une norme juridique autonome dotée d’une valeur à part entière. En aucun cas, l’entrée en vigueur de sa loi de transposition n’a vocation à priver d’effet l’accord conclu par les partenaires sociaux. Dès lors, à admettre que la loi maintienne la possibilité pour les partenaires sociaux des branches de recourir à un organisme assureur désigné (l’inverse semblant d’ailleurs critiquable à la lumière du principe constitutionnel de liberté de la négociation collective qui s’impose au législateur), les deux normes qui entrent en vigueur simultanément, se retrouveront en concours. La résolution de ce «?conflit?» est simple :
Alors que le législateur, à défaut d’autre choix à sa portée, laisse les partenaires sociaux libres sur la question de l’organisme assureur, l’ANI, au champ d’application plus restreint, fait quant à lui primer la liberté des entreprises au détriment de celle des branches. En conséquence, une fois les deux dispositifs entrés en vigueur, il faudra distinguer deux catégories de branches professionnelles :
- Les branches entrant dans le champ d’application de l’ANI (c’est-à-dire, celles au sein desquelles les organisations patronales représentatives adhèrent au Medef, à la CGPME ou à l’UPA) : les partenaires sociaux n’auront pas la possibilité de retenir un organisme assureur désigné.
- Les branches ne relevant pas du champ d’application de l’ANI : ces dernières pourront avoir recours tant à la désignation qu’à la recommandation ou favoriser la liberté de choix des entreprises.
En tout état de cause, conformément à l’ANI, le projet de loi encadre la procédure de choix d’un organisme assureur recommandé ou désigné et envisage pour ce faire de modifier l’article L.912-1 du code de la sécurité sociale pour instituer une procédure de mise en transparence impartiale entre les différents organismes assureurs de la place, qui sera détaillée dans un futur décret d’application. On notera d’ailleurs que ce texte, une fois adopté, aura vocation à s’appliquer tant en matière de frais de santé qu’en matière de prévoyance «?incapacité-invalidité-décès?».
À défaut d’accord de branche signé avant le 1er?juillet 2014 ce sont alors les entreprises qui entrent en scène. Qu’elles aient ou non l’obligation préalable d’ouvrir des négociations à ce titre, les entreprises devront en tout état de cause au plus tard au 1er?janvier 2016 mettre en place un panier de soins minimal. Il est précisé que le financement de cette couverture devra être partagé pour moitié entre l’employeur et les salariés.
C’est alors que surgit le second débat principal de ce texte. Le partage de la cotisation à 50?% ne vise-t-il que la prise en charge des garanties minimales du panier de soins ou l’ensemble des couvertures susceptibles d’être mises en place dans les branches et dans les entreprises ? Si la rédaction de l’ANI était claire sur le fait que la prise en charge par moitié ne s’appliquait qu’au financement des garanties énumérées dans le cadre du panier de soins minimal, la dernière rédaction retenue dans le projet de loi est beaucoup plus ambiguë et suscite l’émoi chez les entreprises. Affaire à suivre…

Sur l’amélioration du dispositif de portabilité
L’ANI du 11?janvier 2008 avait institué en son article?14 un dispositif dit de portabilité des régimes de prévoyance et de frais de santé au profit des chômeurs postérieurement à la rupture de leur contrat de travail. Le récent ANI du 11?janvier 2013 modifie et améliore sur deux points ce dispositif :
- non seulement il allonge la durée maximale du maintien des couvertures de frais de santé et de prévoyance de 9 mois à 12 mois ;
- mais aussi il prévoit une obligation de recourir à la mutualisation du financement de la portabilité (d’abord en frais de santé puis en prévoyance).
De plus, avec l’insertion par la future loi d’un article L.911-8 dans le code de la sécurité sociale, désormais l’ensemble des secteurs d’activité professionnelle seront couverts par cette obligation de portabilité y compris ceux qui ne relèvent pas du champ d’application des ANI (professions libérales, économie sociale, agriculture, presse…).
À l’heure où nous rédigeons ces lignes, les débats parlementaires n’étant pas clos, il faudra attendre encore quelques jours pour connaître le fin mot de l’histoire.



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