Par Thibault Lancrenon, avocat associé. Kipling Avocats
Pendant de longues années, la protection des inventions par un brevet unique étendant ses effets dans l’ensemble de l’Union européenne devait s’écrire au futur, sans que celui-ci soit bien certain. La Résolution législative du Parlement européen du 11 décembre 2012 ouvre véritablement la voie à un brevet « à effet unitaire », qui devrait voir le jour dans le courant de l’année 2014.

Si l’adoption en 1973 de la Convention sur le brevet européen, puis la création en 1977 de l’Organisation européenne des brevets, ont permis une centralisation utile de la procédure de dépôt de brevets dans de nombreux États européens, la protection offerte par les brevets dans l’Union européenne demeure scindée en territoires nationaux. Il convient de ce fait d’obtenir de multiples brevets dans l’ensemble des pays où une protection est recherchée, labyrinthe complexe et coûteux auquel le prochain brevet européen à effet unitaire doit remédier.

Périmètre couvert par le brevet européen à effet unitaire

Les États membres ont décidé d’asseoir le nouveau brevet européen à effet unitaire (BEEU) sur le système des brevets européens, actuellement encadré par la Convention sur le Brevet européen (CBE). Ce rattachement à la CBE, qui n’est pas sans poser un certain nombre de questions dont celle du contrôle juridictionnel au regard du droit de l’Union européenne, explique le rôle administratif central qui doit être dévolu à l’Office européen des Brevets (OEB) dans la gestion du nouveau système. Le BEEU concernera toutefois moins de pays que ceux relevant de la CBE puisque l’accord ne sera ratifié que par les États membres de l’Union européenne (à l’exception en outre et pour le moment de l’Espagne et de l’Italie).
L’adoption du BEEU ne remettra pas en cause la possibilité, pour les demandeurs de brevets, de protéger leurs inventions par des brevets nationaux ou des brevets européens produisant leurs effets dans un ou plusieurs États parties à la CBE. Mais, à l’inverse, s’ils envisagent de déposer un BEEU, les inventeurs ne pourront le faire que pour les brevets européens délivrés avec le même jeu de revendications pour tous les États membres.
La survivance de différents systèmes de brevets à l’intérieur de l’Union européenne engendrera inévitablement un certain nombre d’interrogations sur l’articulation de ces systèmes entre eux. Cette question a d’ailleurs déjà été débattue puisqu’il est prévu que les États membres devront prendre les mesures nécessaires pour garantir que, lorsque l’effet unitaire d’un brevet européen a été enregistré et s’étend à leur territoire, ce brevet européen est réputé n’avoir pas pris effet en tant que brevet national.
En pratique, les demandes de BEEU devront être soumises à l’OEB en anglais, en français ou en allemand ou au moins accompagnées d’une traduction dans l’une de ces trois langues. Après la délivrance du brevet européen, aucune traduction manuelle ne sera plus requise si le titulaire du brevet opte pour un BEEU, à l’inverse de l’hypothèse du brevet européen. La Commission européenne estime que, grâce à cette économie de traduction, le coût de la protection par brevet dans les 25 États concernés devrait être plus ou moins divisé par cinq.

Effets d’un brevet européen à effet unitaire
Le BEEU sera un brevet européen au titre de la CBE, auquel le titulaire pourra faire délivrer un effet unitaire après sa délivrance. Il assurera ainsi une protection uniforme et produira des effets identiques dans tous les États membres concernés (25 pays). De ce fait, il ne pourra être limité, transféré ou révoqué qu’à l’égard de tous ces États, mais il pourra toutefois faire l’objet d’un contrat de licence pour tout ou partie de leurs territoires.
La protection unitaire prendra effet rétroactivement à compter de la date de publication de la mention de sa délivrance.
À l’instar de ce que prévoient les articles 16 du Règlement n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire ou 27 du Règlement n°6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, le BEEU, en tant qu’objet de propriété, sera assimilé à un brevet national de l’État membre dans lequel ce brevet aura un effet unitaire et où le demandeur aura son domicile ou son principal établissement.

Le BEEU conférera classiquement à son titulaire le droit d’empêcher tout tiers de commettre des actes contre lesquels le brevet assure une protection. D’intéressantes questions pourront se poser en matière de contrefaçon sur d’éventuels parallèles avec les solutions retenues en matière de marques ou de dessins et modèles communautaires.

Litiges en matière de brevets européens à effet unitaire
Le fait que les juridictions et administrations nationales des États parties à la CBE sont actuellement seules compétentes pour statuer sur la contrefaçon et la validité des brevets européens crée un certain nombre de difficultés lorsque des actions engagées dans plusieurs pays aboutissent à des décisions contradictoires. Les divergences d’interprétation du droit européen des brevets par les juridictions des États parties à la CBE et les spécificités des contextes nationaux quant aux options procédurales, à la durée des procédures ou au calcul des dommages et intérêts créent de surcroît un risque de « forum shopping », qui ne participe pas à l’établissement d’une véritable sécurité juridique.
L’adoption du BEEU a donc été l’occasion de la signature d’un accord relatif à une juridiction unifiée en matière de brevets qui doit avoir une compétente exclusive non seulement pour les BEEU mais également pour les brevets européens. Sa création a pour but de garantir la cohérence de la jurisprudence et un bon rapport coût-efficacité pour les titulaires de BEEU.
Cette juridiction unifiée en matière de brevets comprendra un tribunal de première instance, avec une division centrale située à Paris (pour les litiges en matière de techniques industrielles et de transport, de textiles et papier, de constructions fixes, de physique et d’électricité) et deux sections situées à Londres (pour les litiges portant sur les nécessités courantes de la vie, la chimie et la métallurgie) et Munich (pour les litiges touchant à la mécanique, l’éclairage, le chauffage, l’armement et les explosifs). Cette juridiction éclatée géographiquement posera sans aucun doute d’épineuses questions de compétence, notamment pour les inventions à mi-chemin de deux domaines techniques.
Les décisions de ce tribunal pourront être contestées devant une cour d’appel située à Luxembourg.
Souhaitons que la mise en œuvre du BEEU confirme très rapidement qu’il constitue « un vrai progrès pour la compétitivité, pour la croissance européenne et, en particulier, pour les petites et moyennes entreprises » (Michel Barnier).


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