Par Bernard Boubli, avocat associé, Capstan Avocats
L’article L.1224-1 du Code du travail prévoit qu’en cas de « modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification, subsistent avec le nouvel employeur ».

Nonobstant l’article 3, 1° de la directive CE 2001/23 du 12 mars 2001, qui s’applique à tout transfert d’entreprise ou d’établissement, même partiel, « résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion », la Cour de cassation (Cass. civ.27 février 1934, DH.1934 p.252), puis la CJCE (CJCE 18 février 1988 Dr.soc.1988.455 conclusions Darmon, note Couturier), ont estimé qu’il n’était pas nécessaire qu’un « lien de droit » unisse l’ancien employeur au nouveau : les contrats se poursuivent avec le repreneur d’une activité dès lors que celle-ci est constitutive d’une entité économique autonome. Lorsque le transfert se réalise sans qu’il y ait un lien de droit entre les parties (reprise d’un marché perdu par l’exploitant précédent), il faut, pour s’assurer que les contrats de travail du personnel affecté sont bien maintenus avec le nouvel employeur, que les éléments repris par ce dernier constituent effectivement une « entité économique autonome ». Lorsque le transfert d’activité résulte d’un accord entre les parties, la même exigence est requise, mais la preuve du transfert d’entité est plus facile à administrer ; cette situation relève d’ailleurs de l’un des cas expressément visés par l’article L.1224-1. Le texte ne vise pas expressément la « scission » ; mais comme son champ d’application a été étendu au-delà de sa lettre, rien ne s’oppose à ce qu’elle soit soumise à ses dispositions. Au demeurant, les articles L.236-1 et suivants du Code de commerce, figurant dans un chapitre intitulé « De la fusion et de la scission », mettent en exergue la parenté entre ces deux notions, dont l’objet est la transmission du patrimoine d’une société à une autre. Or, l’article L.1224-1 vise expressément « la fusion ». La Cour de cassation en déduit qu’il s’applique aussi à la « scission » (Cass. soc.28-2-1974 n° 73-40.138, Bull. civ.V.n°154 ; Cass. soc.12 nov. 2008 RJS 1/2009.294).

Le transfert d’activité peut s’opérer à titre universel (succession) ou à titre particulier (vente du fonds). Dans ce dernier cas, les droits et obligations cédés se limitent soit à ce qui est convenu entre les parties (cession conventionnelle) soit à ce qui est inhérent à l’entité cédée (reprise d’un marché). Les contrats de travail ne font pas nécessairement partie de l’entité ou du fonds cédés ; la loi permet d’éviter le débat sur ce point : les contrats de travail sont transmis de plein droit au repreneur par l’effet de l’article L.1224-1. Ce texte qui déroge aux règles qui gouvernent la transmission à titre particulier, implique une interprétation restrictive. Certaines garanties, associées au contrat de travail, sont transférées avec lui : ancienneté, qualification, niveau de rémunération, priorité de réembauchage, clause de non-concurrence… En revanche, les dettes personnelles de l’ancien exploitant ne sont pas transmises de plein droit (créances de salaires arriérés relatives à des contrats déjà rompus, créances de dommages-intérêts résultant d’une faute de l’ancien employeur…). La réglementation relative aux risques professionnels, qui est à la frontière des obligations personnelles de l’ancien employeur (il peut avoir commis une faute) et des garanties du salarié, fait l’objet d’un traitement particulier : le salarié victime d’un accident du travail avant le transfert peut revendiquer des droits auprès du nouvel employeur (Cass. soc.20-1-1993 n° 91-41.500 Bull. civ.V.n°14).

En cas de scission, selon l’article L.236-1 du Code de commerce, la société scindée peut « transmettre son patrimoine à plusieurs sociétés existantes ou à plusieurs société nouvelles ». Selon l’article L.236-3, « la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires… ». Il en résulte que les contrats de travail des salariés affectés à l’activité reprise par une autre firme dans le cadre de la scission, se poursuivent avec celle-ci. La transmission étant « universelle », elle porte tant sur les droits que sur les obligations ; logiquement les restrictions relevées plus haut à propos des dettes personnelles de l’ancien employeur en relation avec le travail, devraient être levées. On peut d’ailleurs se demander si le transfert des contrats de travail ne résulte pas tant de l’article L.1224-1 du Code du travail que du caractère universel de la transmission. La Cour de cassation décide en effet que la société bénéficiaire de l’apport d’actif résultant d’une scission, reçoit tous les biens, droits et obligations de la branche d’activité concernée et en particulier les obligations de la société apporteuse à l’égard d’un salarié exposé au risque de l’amiante qui, quoique ayant quitté cette société avant la scission, peut demander au bénéficiaire de l’apport la réparation de son préjudice d’anxiété et de bouleversement des conditions de vie (Cass. soc. 18 juin 2014 n°12-29.691, Balsano).

Les salariés ayant exercé une activité exposée à l’amiante peuvent en effet bénéficier d’un régime de préretraite. Ils reçoivent une allocation jusqu’à la date de la liquidation de leur pension de retraite. Cette allocation (Acaata) bénéficie aux salariés des entreprises désignées par un arrêté qui fixe la période de garantie. Elle prend en charge le risque d’apparition d’une pathologie liée à l’amiante ; elle est allouée alors que l’intéressé n’est pas atteint d’une maladie professionnelle, qu’il peut d’ailleurs ne jamais contracter. L’allocation ne prive pas le salarié qui a été exposé à l’amiante, du droit de demander à son employeur, la réparation du préjudice d’anxiété qu’il peut éprouver (Cass. soc. 11-5-2010 n°09-42.241). Cette obligation est une dette personnelle de l’entreprise responsable qui se résout en dommages-intérêts ; elle n’est donc pas transmise, en principe, par l’effet de l’article L.1224-1, lorsque ce texte s’applique. Ce principe connaît cependant une dérogation en cas de transfert partiel d’activité par suite d’une scission : l’obligation fait partie de l’universalité transférée : lorsque l’activité est reprise par un tiers, les droits et obligations afférents à cette activité lui sont également transmis, et parmi eux l’action en indemnisation du préjudice d’anxiété d’un salarié de l’ancienne firme, qui a quitté celle-ci bien avant le transfert.

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