Le gouvernement s’appuie sur un rapport de l’IGF pour tenter une nouvelle fois de réformer les professions réglementées. Quelques chiffres pour s’orienter.
Article 45 : c’est l’article du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne sur lequel s’est fondé la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour condamner la France le 24 mai 2011, considérant que « les activités notariales ne participent pas à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 45, premier alinéa, du traité CE » et, dès lors, « la condition de nationalité requise par la réglementation française pour l’accès à la profession de notaire constitue une discrimination fondée sur la nationalité interdite par l’article 43 CE. » Sur l’insistance de la Commission qui souhaite voir la décision appliquée, Pierre Moscovici, alors ministre de l’Économie, charge l’Inspection générale des finances (IGF) de la rédaction d’un rapport sur les professions réglementées, remis au gouvernement en mars 2013. Impatiente, la Commission rend en octobre 2013 une communication obligeant les États membres à entreprendre cette réforme, à défaut de quoi elle engagera une procédure en violation devant la CJUE à partir de juin 2015. Contraint d’agir, le gouvernement français s’appuie sur les recommandations de l’IGF dans son projet de loi pour la croissance.

1959, 1983, 2008, 2009 : ce sont les dates des précédentes tentatives de réforme. Dès 1959, le comité Rueff-Armand proposait de réformer la réglementation de certaines professions, telles que les commissaires-priseurs, les notaires et les avoués. La réforme des professions réglementées avait ensuite fait l’objet d’un premier rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) de 1983, puis d’un rapport de la commission pour la libération de la croissance dit « rapport Attali » de 2008, et, enfin, d’un rapport de la commission Darrois en 2009. Ces deux derniers rapports ont partiellement été mis en œuvre dans la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 et la loi de modernisation des professions juridiques et judiciaires du 28 mars 2011. La Commission européenne se faisant pressante, le gouvernement français est contraint d’envisager une nouvelle réforme de ces professions.

6,4 : c’est le pourcentage du PIB que représentent les 123,8 milliards d’euros de valeur ajoutée cumulés en 2010 par les 37 professions et activités réglementées sur lesquelles se concentre le rapport de l’IGF. Cela représente un chiffre d’affaires de 235,8 milliards d’euros. Les professionnels du droit concernés : les notaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les administrateurs et mandataires judiciaires, les huissiers de justice, les avocats et les commissaires-priseurs judiciaires. L’IGF constate qu’ils bénéficient de hauts revenus qui ne sont pas toujours justifiés ni par le niveau de qualification, ni par l’ampleur des investissements financiers consentis, pas plus que par une prise de risque économique clairement identifiable. Le rapport indique ainsi que les professions réglementées examinées ont vu leur valeur ajoutée augmenter de 54 % en moyenne entre 2000 et 2010 alors que le PIB n’a progressé que de 35 %. En 2013, les notaires bénéficiaient d’une rémunération mensuelle moyenne de 15 116 euros nets, tandis que celle-ci s’élevait à 7 975 euros nets pour les huissiers de justice et 5 286 euros nets pour les avocats (selon les statistiques de l’Union nationale des associations agréées pour 2013).

3 : c’est le nombre de monopoles concédés aux professionnels juridiques et dénoncés par l’IGF. Ainsi, les greffiers des tribunaux de commerce bénéficient d’un monopole quant à la gestion des données et actes relatifs aux registres légaux, tel que le Registre du commerce et des sociétés (RCS), alors que cette mission pourrait être confiée à une délégation de service public unique nationale « mise en place selon le droit commun de la commande publique ». Le monopole des notaires sur la rédaction des actes soumis à publicité foncière est également pointé du droit, n’étant couvert par aucun motif d’intérêt général, contrairement au monopole sur l’authentification de l’acte qui n’est pas remis en cause par le rapport. D’autre part, les huissiers de justice ne sont pas épargnés en ce qui concerne la signification des actes de procédure et des décisions de justice, qui pourrait être assurée par La Poste, déjà engagée dans des transmissions de plis pour lesquels une preuve de remise est demandée. Par ailleurs, une autre recommandation vise à confier la représentation des créanciers et le recouvrement des créances aux administrateurs financiers plutôt qu’aux mandataires judiciaires, permettant notamment une baisse du coût des procédures et une simplification du déroulement des liquidations de faible importance. Enfin, l’IGF conseille soit de supprimer la compétence de postulation des avocats, soit de l’étendre au niveau national.

20 : c’est en pourcentage la baisse préconisée par l’IGF pour la tarification de certains actes juridiques, ce qui leur laisserait toujours des marges et des salaires mensuels confortables. En effet, le rapport conclut à la suppression du tarif réglementé des notaires sur les négociations immobilières et du tarif de postulation des avocats devant les tribunaux de grande instance, qui ne sont pas justifiés selon l’IGF. La fixation de ces tarifs pourrait, par ailleurs, être contrôlée par l’Autorité de la concurrence à travers la mise en place d’un pouvoir légal d’évocation. Celle-ci avait déjà été saisie pour avis dans ce type de situations par le passé (Autorité de la concurrence, avis du 18 janvier 2010 relatif à l’assistance du greffier en chef en matière de vérification des comptes de tutelles par un huissier de justice). Enfin, une révision quinquennale de ces tarifs permettrait de tenir compte des gains de productivité réalisés par les professionnels.

53,2 : c’est le pourcentage d’avocats d’affaires favorables à l’ouverture du capital des cabinets à des non-avocats, selon une étude Day One réalisée fin 2007, précisant que la priorité devait être donnée aux autres professionnels du droit tels les juristes, les notaires ou les experts-comptables. Ils se disent toutefois défavorables à l’introduction en Bourse des cabinets, telle qu’elle est possible en Australie ou au Royaume-Uni. À l’heure actuelle, aucune personne physique ou morale extérieure à une profession juridique ou judiciaire ne peut prendre part au capital d’une société d’exercice libéral (SEL). Or, l’IGF constate qu’un allègement des contraintes sur le capital serait possible pour les professions réglementées en parallèle d’un renforcement des règles déontologiques. Le rapport précise toutefois que cette solution n’est pas envisageable pour la profession d’avocat car elle soulèverait des risques déontologiques trop importants, compte tenu des spécificités de la profession et de la relation avec les clients. Allant contre l’avis de l’IGF, le gouvernement entend toutefois ouvrir aux tiers le capital social minoritaire des SEL d’avocats, à l’exclusion des banques et des compagnies d’assurance. Ayant toujours pris position contre cette idée, le CNB s’est exprimé dans un communiqué du 24 septembre 2014 à travers son président, Jean-Marie Burguburu. Ce dernier a fait part de son « profond désaccord » avec les mesures envisagées et a rappelé que « la profession d’avocat était une profession libérale déjà largement ouverte à la concurrence, qui n’a pas attendu ce projet de réforme pour se moderniser. » Le CNB insiste sur l’importance de préserver les principes essentiels de la profession, au premier rang desquels figure son indépendance.

30 : c’est en pourcentage l’augmentation du nombre de notaires nommés par le garde des sceaux depuis 1980 alors que le nombre annuel de transactions immobilières a quant à lui doublé. L’IGF encourage donc la liberté d’établissement des professions réglementées actuellement soumises à une autorisation préalable d’installation auprès des institutions administratives. Or, le contrôle de la puissance publique sur ces professionnels pourrait tout aussi bien s’exercer si elle se limitait à un pouvoir d’opposition à l’installation, motivé par des motifs légaux.

16 000 : c’est le nombre de personnes ayant manifesté à Paris auprès des notaires le 17 septembre 2014 selon les organisateurs, la police estimant quant à elle qu’ils n’étaient que 12 000. En effet, face à ce projet de réforme, les professionnels juridiques grondent malgré la volonté de dialogue et de concertation annoncée conjointement par Emmanuel Macron et Christiane Taubira dans un communiqué du 10 septembre 2014. Les huissiers de justice étaient en grève le 15 septembre. Le même jour, se tenait une manifestation nationale de la profession au cours de laquelle Patrick Sannino (photo à gauche), président de la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ), dénonçait un rapport réalisé « à charge » et ne reflétant pas la réalité de la profession. Deux jours plus tard, ce dernier annonçait pourtant la cessation du mouvement, se disant « satisfait » de sa rencontre avec les deux ministres. Il expliquait notamment avoir reçu l’assurance qu’il n’y aurait pas d’ouverture du capital pour les offices publics et ministériels. Parallèlement, les notaires et leurs collaborateurs manifestaient dans toute la France. Le 18 septembre, Jean Tarrade (photo à droite), président du Conseil supérieur du notariat (CSN), exprimait sa « vive inquiétude » à l’issue de sa rencontre avec Emmanuel Macron et Christiane Taubira, précisant que « il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à rapprocher les points de vue ». L’Union nationale des professions libérales (UNAPL) indiquait quant à elle être ouverte à la réforme tout en précisant que « les évolutions ne sont possibles que si elles vont dans le sens de la simplification administrative, de l’allègement des formalités, qu’elles respectent les fondements et valeurs des professions libérales, et, bien évidemment, que si elles sont construites avec les syndicats professionnels. » En attendant, l’UNAPL appelle à une grève massive des professions libérales le 30 septembre prochain. Le CNB appelle tous les avocats de France à suivre ce mouvement, s’opposant aux trois mesures annoncées par le gouvernement, à savoir la suppression de la territorialité de la postulation devant le TGI (et du tarif correspondant), l’ouverture du capital des SEL d’avocats aux tiers et la création d’un statut d’avocat salarié en entreprise, sans possibilité de plaider ni de développer une clientèle personnelle. L’Ordre des avocats de Paris considère au contraire qu’une grève des avocats n’est pas opportune puisque « les textes proposés par le gouvernement ne remettent pas en cause le caractère réglementé de la profession d'avocat. » Au contraire, ils permettraient des perspectives d’évolution « modernes et raisonnables » pour la profession.

6 milliards d’euros : c’est le pouvoir d’achat qu’Arnaud Montebourg avait promis de restituer aux Français le 10 juillet dernier en luttant contre les monopoles. De son côté, le nouveau ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique Emmanuel Macron se veut rassurant et conteste formellement ces prévisions. Il affirme ne pas vouloir sacrifier les professions réglementées, avec l’aide desquelles il souhaite mener la réforme. Suite à sa rencontre avec Jean-Marie Burguburu, le 24 septembre dernier, Emmanuel Macron a demandé la réunion d’un groupe de travail composé des conseillers du ministère de l’Économie et du ministère de la Justice et des représentants du CNB qui a précisé qu’aucune réforme ne pourrait intervenir sans que l’assemblée générale du CNB ait pu en débattre au préalable. De son côté, le ministre a insisté sur l’urgence de la réforme projetée sans préciser si elle serait prise par voie d’ordonnance après une loi d’habilitation.

Pauline Carmel

Prochains rendez-vous

02 octobre 2024
Sommet du Droit en Entreprise
La rencontre des juristes d'entreprise
DÉJEUNER ● CONFÉRENCES ● DÎNER ● REMISE DE PRIX

Voir le site »

02 octobre 2024
Rencontres du Droit Social
Le rendez-vous des acteurs du Droit social
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER  

Voir le site »

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

{emailcloak=off}

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2024