Par Aurélia Cadain, avocat associé, et Erwann Couty, avocat. BOPS
L’application du règlement (CE) n°261/2004 du 21?février 2004 «?établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important de vol?» (ci-après le «?Règlement n°261/2004?») peut susciter de nombreuses interrogations, notamment en matière de compétence juridictionnelle.


Le règlement n°261/2004 ne comporte aucune règle de compétence juridictionnelle. Cette dernière doit donc s’apprécier au regard du règlement CE n°44/2001 du 22?décembre 2000 «?concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale?» (ci-après le «?Règlement n°44/2001?»), à l’exclusion des conventions internationales applicables en matière de transport aérien et du droit interne.

I - La compétence juridictionnelle en matière de litige fondé sur le Règlement n°261/2004 ne s’apprécie pas au regard des conventions internationales applicables au transport aérien
Les conventions internationales pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, soit la Convention de Varsovie du 12?octobre 1929 et la Convention de Montréal du 28?mai 1999, énumèrent, de manière limitative, les tribunaux devant lesquels le transporteur aérien peut être attrait. Ces tribunaux sont ceux du «?domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu [et ceux] du lieu de destination?» (article 28.1 de la Convention de Varsovie et article 33.1 de la Convention de Montréal). Un autre for a été consacré par la Convention de Montréal en matière de «?dommage résultant de la mort ou d’une lésion corporelle subie par un passager?» : celui du domicile de la victime ou de ses ayants droit (article 33.2).
L’article 29 de la Convention de Montréal prévoyant que «?toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit [...] ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention?», certains ont été tentés d’interpréter cette convention comme régissant, de manière exclusive, la responsabilité du transporteur aérien, de sorte que ses règles de compétence juridictionnelle seraient applicables, y compris dans le cadre de litiges fondés uniquement sur le Règlement n°261/2004.
Cette interprétation n’a toutefois pas été suivie par la jurisprudence, qu’elle soit européenne ou française.
L’ancienne Cour de justice des Communautés européennes (ci-après la «?CJCE?») a ainsi jugé que les droits consacrés par la Convention de Montréal et le Règlement n°261/2004 relevaient de «?cadres réglementaires distincts?», les dispositions de cette convention, et notamment celles relatives aux juridictions compétentes, ne pouvant dès lors s’appliquer à une demande «?introduite sur le fondement du seul Règlement n°261/2004?» (CJCE, 9?juillet 2009, affaire C-204/08, §28). Cette solution a également été consacrée par la Cour d’appel de Versailles (arrêt du 10?juillet 2013, RG n°13/03381).
Ainsi, les droits conférés par le Règlement n°261/2004 n’entrant pas dans le champ d’application de la Convention de Montréal, le tribunal compétent pour connaître d’un litige relatif à ces seuls droits ne peut être déterminé au regard de
cette dernière.

II. La compétence juridictionnelle en matière de litige fondé sur le Règlement n°261/2004 s’apprécie au regard du Règlement n°44/2001

Le Règlement n°261/2004 ne comportant aucune disposition relative à la compétence juridictionnelle, la CJCE a jugé que cette question devait par conséquent «?être examinée au regard du Règlement n°44/2001?» (arrêt du 9?juillet 2009 précité, §28).
Ce Règlement ne prévoit aucune compétence spécifique en matière de contrat de transport aérien. Il prévoit néanmoins une compétence de principe des tribunaux du domicile du défendeur (article 2), ce qui, pour une personne morale, correspond au lieu de son «?siège statutaire?», de son «?administration centrale?» ou de son «?principal établissement?» (article 60).
Le Règlement n°44/2001 prévoit également une option de compétence, en matière contractuelle, et plus particulièrement en matière de fourniture de services, au profit des juridictions du «?lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis?» (article 5.1.b). Interprétant cette disposition, la CJCE a jugé qu’en matière de transport aérien, le lieu de fourniture des services devait être entendu comme le lieu de départ ou le lieu de destination du vol
(arrêt précité).
À noter que l’option de compétence permettant au consommateur de saisir les tribunaux de son propre domicile (articles?15 et?16) n’est pas applicable aux contrats portant uniquement sur l’achat d’un vol sec. Cette précision est importante, dès lors que les vols secs représentent, en France, plus d’un tiers des voyages achetés (cf. Rapport 2013 du Syndicat des entreprises du
tour operating).
Les tribunaux compétents pour connaître d’une demande fondée sur le seul Règlement n°261/2004 sont donc, outre ceux du domicile du défendeur, ceux du lieu de départ et du lieu de destination du vol.

III. L’application du Règlement n°44/2001 exclut les règles de droit interne et notamment le Code de la consommation

Les règles de compétence prévues par le Règlement n°44/2001 ont un caractère impératif et priment sur le droit national. Par conséquent, dès lors que le litige entre dans son champ d’application, le demandeur ne saurait saisir un tribunal autre que ceux qui y sont visés, en se fondant sur son propre droit national. Le passager souhaitant obtenir l’une des indemnités prévues par le Règlement n°261/2004 ne peut donc se fonder sur l’article L141-5 du Code de la consommation, pour saisir les juridictions de son propre domicile. Cette solution, respectueuse de la hiérarchie des normes, a été consacrée notamment par un arrêt de la Cour d’appel de Grenoble : «?Attendu que le règlement communautaire 44/2001 du 22?décembre 2000 primant sur la loi nationale, les dispositions de l’article L141-5 du code de la consommation ne sauraient recevoir application?» (arrêt du 14 mai 2013, RG n°12/05483).
En conclusion, en vertu des principes précités, l’essentiel du contentieux français relatif à l’application du Règlement n°261/2004 sera concentré devant les juridictions dans le ressort desquelles se situent les sièges des compagnies aériennes et les principaux aéroports.

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