Par Viviane Stulz, avocat associé, et Clémence Cottrell, juriste. actance
Fruit de trois mois de négociations, l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l’emploi, objet d’un projet de loi en discussion devant le Parlement, vient refondre en profondeur la procédure applicable depuis 2005 aux licenciements collectifs de plus de neuf salariés dans les entreprises d’au moins cinquante salariés et marque un retour notable de l’État dans la gestion des entreprises.

Les partenaires sociaux devaient trouver un compromis entre flexibilité et sécurité : ils ont opté pour un dialogue social renforcé et une procédure encadrée.

Une procédure d’information-consultation réinventée
Deux modalités d’adoption d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) seront désormais possibles : un accord collectif signé par les organisations syndicales (OS) représentant au moins 50?% des suffrages exprimés et/ou un document unilatéral de l’employeur (1), tous deux soumis à l’Administration.
La négociation d’un accord est strictement encadrée par le texte. Curieusement, le projet de loi opère une distinction entre ce que doit contenir l’accord (contenu du PSE) et ce qu’il peut contenir (pondération des critères d’ordre de licenciement, nombre de suppressions d’emploi, catégories professionnelles concernées…) (2). Les thèmes non abordés devront être définis par le document unilatéral. Ainsi, les entreprises non couvertes par un accord «?global?» devront soumettre à l’Administration à la fois un accord «?partiel?» pour validation et un document unilatéral pour homologation. Complexité regrettable : il aurait mieux valu imposer un contenu identique aux deux documents, qu’il s’agisse de l’accord collectif ou du document unilatéral.
Le CE devra toujours être consulté sur l’opération projetée (Livre?II), mais désormais, s’agissant du projet de licenciement (Livre?I), les thèmes ayant fait l’objet de l’accord collectif échapperont à sa consultation (3).
Afin de sécuriser les procédures, le projet encadre strictement le délai dans lequel le CE rendra ses deux avis (au titre du Livre?I (sauf accord collectif «?complet?») et du Livre?II), à savoir un maximum de deux mois (moins de 100 licenciements), trois mois (entre 100 et 250 licenciements) ou quatre mois (250 licenciements et plus). Par ailleurs, ni la consultation des comités d’établissement et du CCE (4) - ni celle des CHSCT (même en cas d’expertise (5)- ne viendront allonger ces délais, les instances étant réputées consultées à l’issue des délais. Il s’agit là d’un gain de temps appréciable par rapport aux expériences parfois catastrophiques auxquelles les entreprises ont dû faire face ces dernières années.

Un contrôle administratif renforcé de la procédure
Cependant, le projet de loi réintroduit le recours à l’Administration avant notification des licenciements : après avis du CE, l’accord collectif et/ou le document unilatéral sont soumis à la Direccte pour validation et/ou homologation. Celle-ci dispose de quinze jours pour apprécier la validité de l’accord, contre vingt et un jours pour homologuer le document unilatéral, le silence valant validation ou homologation. Dans ce court délai, le contrôle de l’Administration portera, dans un cas comme dans l’autre, sur le contenu du PSE, la régularité de la procédure d’information-consultation du CE et la présence d’un plan de reclassement.
S’agissant plus spécifiquement du document unilatéral, l’Administration devra s’assurer du contenu du PSE au regard des moyens dont disposent l’entreprise et le groupe, de la qualité des mesures d’accompagnement ainsi que des efforts de formation et d’adaptation réalisés (6). Est-ce à dire qu’en cas d’accord collectif, l’Administration ne s’assurerait pas de ces derniers points ?
Il est acquis que ce contrôle ne porte pas sur la validité du motif économique qui demeure donc de la compétence exclusive du juge judiciaire saisi à l’occasion d’un litige individuel, a posteriori (7). La position prise par la Cour de cassation dans l’affaire Vivéo (8) se trouve ainsi judicieusement confortée.
Cependant, l’Administration tiendra-t-elle compte d’autres éléments tels que l’information-consultation du CE au titre des orientations stratégiques ? En effet, les entreprises et les groupes d’au moins 300 salariés devront désormais consulter le CE annuellement sur les orientations stratégiques de l’entreprise et leurs conséquences. Cette consultation portera notamment sur la mise en place d’un dispositif de GPEC (9) et aura pour support la nouvelle base de données économiques et sociales (10). La société n’ayant pas respecté ses obligations se verra-t-elle rejeter son accord ou son document unilatéral ? Que fera en pratique l’Administration en l’absence de motif économique suffisamment sérieux ?

Un contentieux limité et tourné vers le juge administratif
Afin de mettre un terme aux actions en référé tendant à la suspension de la procédure, le texte prévoit désormais que toute demande d’informations relatives à la procédure en cours ou à l’application d’une règle de procédure légale ou conventionnelle devra être adressée à l’Administration qui aura 5 jours pour se prononcer sur cette demande (11). A priori, sont concernées toutes les demandes d’informations, qu’elles émanent du CE, du CHSCT, des OS ou des experts. Au surplus, les possibilités de recours judiciaire sont limitées puisque désormais, toutes les contestations relatives à l’accord collectif, au document unilatéral, au contenu du PSE, aux décisions administratives et à la régularité de la procédure ne pourront faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d’homologation (12). Ce litige relevant désormais de la compétence exclusive du tribunal administratif, exclut ainsi le juge judiciaire. Cependant, le gain de temps que constitue ce nouvel encadrement de la procédure pourrait être annihilé en cas de contestation de la décision administrative : deux mois pour saisir le tribunal administratif qui se prononce dans les trois mois ; puis en cas d’appel ou absence de jugement, la cour administrative d’appel statue dans un nouveau délai de trois mois ; à défaut d’arrêt ou en cas de nouveau recours, le litige sera porté devant le Conseil d’État. Plus de huit mois pourraient donc s’écouler avant que le Conseil d’État ne soit saisi du litige et statue sur le dossier.
La CGT et FO s’arc-boutent contre ce texte, les concessions accordées par les signataires de l’ANI faciliteraient les licenciements. Il est loin d’être certain que ce soit le cas. Tant la négociation collective que le contrôle opéré par l’Administration, considérablement renforcés, marquent une immixtion non négligeable dans le pouvoir décisionnel de l’employeur sur la gestion de son entreprise.

1-Art. L.1233-24-1 - L.1233-24-4
2 -Art. L.1233-24-2
3 -Art. L.1233-30
4 -Art. L.1233-36
5 -Art. L.4614-12-1
6 -Art. L.1233-57-1 ; L.1233-57-2 et L.1233-57-3
7 -Art. L.1235-7 al 2
8 -Cass. Soc. 3 mai 2012 n° 11-20.741
9 -Art. L.2242-15
10-  Art. L.2323-7-2
11 -Art. L.1233-57-5
12 -Art. L.1235-7-1



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