Par Danielle Elkrief, avocat associé, et Clément Walckenaer, avocat. Elkrief Avocat
En matière probatoire, la fin ne justifie pas les moyens. La Cour de cassation a ainsi récemment et de nouveau censuré le recours à des preuves illicites par des opérateurs fondant leur action sur le comportement de concurrents estimé déloyal…

Le contentieux social offre une fenêtre toute particulière à l’examen des preuves dites déloyales, dès lors que l’employeur est souvent contraint d’agir masqué afin d’épingler le salarié défaillant. La jurisprudence rendue en la matière a toutefois ceci de particulier que les dispositions légales (1) soumettent expressément à l’information préalable du salarié la mise en place de tout système de contrôle (2). En droit des affaires et dans les réseaux de distribution, il est préférable par analogie de prévoir contractuellement la faculté pour la maison mère d’effectuer des contrôles internes, par le biais de témoins mystères et enquêteurs, aux fins de procéder à des contrôles de qualité, pratique de plus en plus répandue. À l’égard des tiers toutefois, et en particulier en matière de concurrence déloyale, un courant jurisprudentiel persistant tend à écarter des débats judiciaires toutes pièces obtenues avec déloyauté. Le succès d’une action en justice dépend par conséquent des précautions particulières prises en amont, la preuve résultant de stratagèmes, jugés par essence déloyaux, étant bannie.

Le principe de loyauté au regard de l’administration de la preuve
En droit pénal, les juges répressifs sont habilités à apprécier les moyens de preuve fournis par des particuliers aux services d'enquête, auraient-ils été obtenus de façon illicite ou déloyale (3). Mais la validité du recours à de telles pièces est appréciée différemment selon les contentieux, comme peuvent en témoigner deux décisions du même jour rendues par la Cour de cassation, l’une validant le versement au dossier pénal d’enregistrements de conversations privées réalisées à l’insu de leurs auteurs (4)(pièces dont la retransmission au public par des organes de presse a pu être interdite comme portant atteinte à l’intimité de la vie privée de leurs auteurs (5)), l’autre censurant le recours par l’administration fiscale à des pièces obtenues de manière illicite (6). En tout état de cause, la Cour de cassation a récemment consacré fermement le principe de loyauté dans l’administration de la preuve dans le cadre de relations entre concurrents. Ainsi de l’arrêt rendu par son Assemblée plénière le 7 janvier 2011 au visa du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, de l’article 9 du Code de procédure civile, et de l’article 6-1 de la CESDH : «?l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve?» (7). La Chambre commerciale de la Cour de cassation avait anticipé le rejet de pièces déloyales, dans le cadre de contentieux purement commerciaux, en soulignant l’inutilité d’une atteinte à d’autres principes essentiels tel que notamment le droit au respect de la vie privée, renforçant davantage encore le caractère solennel de ce principe. Les juges suprêmes avaient ainsi déjà affirmé que ne peut qu’être écarté des débats le moyen de preuve «?déloyalement obtenu?» tel qu’un enregistrement téléphonique d’une conversation entre deux représentants légaux de sociétés commerciales, effectué par l’un à l’insu de l’autre (8).

La condamnation des stratagèmes
Est ainsi particulièrement déloyale la preuve obtenue au moyen d’une machination, d’un stratagème, a fortiori lorsque celui-ci fait intervenir un Huissier de Justice dont le statut (9) impose que son identité soit révélée avant toute opération. L’huissier, en tant qu’officier ministériel, a ainsi l’interdiction d’avoir recours à un «?stratagème?» pour recueillir une preuve (10), et ce même s’il agit dûment autorisé préalablement par une ordonnance sur requête. Il en serait ainsi si l’huissier participait activement au stratagème ou se contentait de constater le déroulement de la machination, sans décliner préalablement son identité. La Cour de cassation confirme en effet de nouveau que doit être rétractée une ordonnance rendue sur requête dès lors que «?les mesures ordonnées reposaient sur l'utilisation d'un stratagème consistant à recourir aux services de tiers, au statut non défini, pour une mise en scène dont l'huissier instrumentaire était chargé de rapporter le déroulement et le résultat, et que ce dernier était autorisé à demeurer dans la clandestinité lors de l'accomplissement de sa mission?» (11). Il serait d’autant plus inopportun de solliciter une mesure probatoire clandestine sur le fondement de l’article 145 du CPC avant tout procès, que l’ordonnance qui viendrait à autoriser une telle mesure devra en tout état de cause être obligatoirement portée à l’attention du concurrent ainsi visé par ce stratagème, et ce préalablement à son exécution, excluant ainsi que soient effectuées des opérations déloyales (12). Selon la haute juridiction, ne saurait être davantage tolérée la «?manœuvre?» orchestrée par une société concurrente, qui afin de recueillir des éléments de preuve en vue d’une action en concurrence déloyale, commandera prétendument des produits chez son concurrent via des faux clients. Les pièces obtenues seraient ainsi susceptibles d’être écartées des débats (13) dès lors qu’elles seraient contraires au principe de loyauté de la preuve. Le stratagème et la manipulation qui, aux fins d’établissement de «?la vérité?», auraient pour objet de provoquer les faits qu’ils cherchent à faire constater, seraient dans certaines circonstances d’autant plus condamnables (14).

Il peut s’avérer particulièrement délicat par conséquent de constituer des preuves en vue d’un litige commercial à l’égard d’un concurrent, seul le recours à des attestations respectueuses des dispositions de l’article 202 du Code de procédure civile pouvant donner lieu à un débat contradictoire, éventuellement appuyées de constats d’huissiers obtenus dans le respect des règles essentielles de notre état de droit.

1-  Article L1222-4 Code du Travail
2-  Cass. soc. 4?juillet 2012 n°11-30266/ Est ainsi déloyal et illicite le dispositif de contrôle clandestin non porté à l’attention préalable du salarié, celui-ci étant qualifié parfois de «?stratagème?».
3-  Cass. crim. 27.01.2010 n°09-83395/ Cass Crim 30?mars 1999 n° 97-83464/Cass Crim 11 juin 2002 n° 01-85559
4-  Cass. crim. Cass. 31.01.2012 n°11-85464
5-  CA Versailles 4 juillet 2013 JurisData 2013-014133
6-  Cass Com 31 janvier 2012 n°11-13097
7-  Cass. Ass. plén. 7 janvier 2011, n° 09-14316 et 09-14667
8-  Cass. com. 25 février 2003 JurisData n°2003-018064
9-  Article 17 du décret du 29 février 1956
10- Cass. soc. 18 mars 2008 n°06-40852
11- Cass. civ. 2e 26.09.2013 n°12-23387 JurisData n°2013-021142
12- Cass. civ. 10 février 2011 n° 10-13894
13- Cass. com. 18 novembre 2008 n°07-13365
14- Cass. crim. 27 février 1996 n°95-81366




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