Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, plaide pour le nouveau mécanisme de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Décideurs. Quel était l’objectif de départ de l’instauration de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ?
Jean-Claude Marin
. La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) a été instaurée par la loi du 9 mars 2004, dite Perben II. L’idée qui était à l’époque la nôtre, puisque j’occupais alors les fonctions de directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, était d’instaurer un système de justice acceptée et exécutée immédiatement, permettant par conséquent de diminuer fortement l’exercice de voies de recours. Au départ, il est vrai que nous avons rencontré de nombreuses réticences, d’ailleurs plus souvent fondées sur des raisons philosophiques que juridiques, mais, peu à peu, la procédure a été adoptée par les magistrats et par le barreau. Aujourd’hui, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité représente plus de 13 % des réponses pénales, soit 65 090 plaider-coupable en 2013.
Décideurs. En quoi consiste cette procédure ?
J.-C. M. Dans le dispositif pénal français, on ne distinguait pas les situations dans lesquelles une personne reconnaissait sa culpabilité, de celles où elle ne la reconnaissait pas. Nous nous sommes alors inspirés de procédures étrangères, à l’image du plea-guilty au Royaume-Uni ou du plea bargaining aux États-Unis, que nous avons adaptées aux principes généraux de notre droit continental. Notre procédure consiste ainsi à permettre au juge de n’avoir à s’interroger que sur la sanction et non sur la culpabilité de la personne, lorsque celle-ci reconnaît les faits. Je précise qu’en France, à la différence des États-Unis, la négociation portera sur la peine et non sur la qualification de l’infraction.


« Les avocats ont compris que c’était un moyen extrêmement rapide de résolution des conflits »


Décideurs. Existe-t-il des garanties pour le prévenu ?
J.-C. M.
Le respect des droits de la défense étant un des principes fondamentaux de notre procédure pénale, il était primordial et essentiel de n’en priver personne. Ainsi, la CRPC ne peut être mise en œuvre qu’à la condition qu’un avocat assiste le prévenu, et celui-ci ne peut d’ailleurs renoncer à cette assistance. Ensuite, l’accord sur la peine va être soumis à l’homologation d’un juge, toujours en présence de l’avocat. Le magistrat ne se contente pas seulement d’avaliser la reconnaissance de culpabilité, il doit appliquer les mêmes diligences qu’il met en œuvre traditionnellement lors d’un procès, c’est-à-dire qu’il doit veiller à la proportionnalité et à la personnalisation de la peine.

Décideurs. Comment expliquez-vous un tel engouement pour cette procédure ?
J.-C. M.
En 2004, lorsque nous avons mis en place cette procédure, nous avons fait le choix de la prudence, en limitant les délits susceptibles de faire l’objet d’une CRPC aux infractions punies de cinq ans d’emprisonnement au maximum. En 2009 et en 2011, a été étendu le champ d’application de cette procédure à presque tous les délits, ce qui a renforcé l’attrait de celle-ci. Ensuite, les avocats ont compris que c’est un moyen extrêmement rapide de résolution des conflits et qui assure une certaine confidentialité. C’est pourquoi aujourd’hui ils plébiscitent cette procédure et veulent la généraliser à l’ensemble du droit des affaires.

Décideurs. Pour beaucoup, la victime est exclue de cette procédure.
J.-C. M.
C’est très largement inexact. La victime sera immédiatement avisée de la procédure. Elle peut se présenter à l’audience d’homologation et également interjeter appel de la décision d’homologation. La victime est donc bien intégrée dans le dispositif de la CRPC.

Décideurs. Sa mise en place est-elle un premier pas vers une procédure accusatoire ? Les dommages-intérêts punitifs sont-ils à la porte de l’Hexagone ?
J.-C. M.
Aujourd’hui, les systèmes judiciaires dans le monde se métissent, l’accusatoire pur ou l’inquisitoire pur n’existant plus à l’état brut. Les droits s’inspirent et prennent dans tel ou tel système judiciaire ce qu’ils estiment être bon. En France, le système est contradictoire et, en dehors des audiences de cours d’assises, la majorité de la procédure reste dominée par l’écrit. Même s’il existe aujourd’hui une réflexion sur les dommages-intérêts punitifs qui consistent en une « sorte » de sanction sans reconnaissance préalable de responsabilité pénale, nous sommes encore loin de la mise en place de ce système. Quant au droit des affaires, l’exemple du compliance program américain est une autre piste de réflexion.

Propos recueillis par Camille Drieu

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