Le 1er janvier 1930, quelques mois seulement après le Jeudi noir, George Allen et Thomas Overy inaugurent leur partnehip. Début 2010, Allen & Overy LLP défie toujou la crise avec un chiffre d'affaires annuel dépassant la barre du milliard de livres sterling.

Le 1er janvier 1930, quelques mois seulement après le Jeudi noir, George Allen et Thomas Overy inaugurent leur partnership. Début 2010, Allen & Overy LLP défie toujours la crise avec un chiffre d'affaires annuel dépassant la barre du milliard de livres sterling. Son senior partner David Morley en est persuadé : la firme aujourd’hui octogénaire aura, dans les quatre-vingts ans à venir, « l’imagination pour seule limite ». Une allégation qui prend tout son sens au regard du chemin déjà parcouru.

Comme les autres firmes du magic circle*, c’est sur la place de Londres qu’Allen & Overy fait ses premiers pas. La comparaison historique s’arrête là.  Au cœur de la grande dépression, les deux associés fondateurs parviennent, en quelques années seulement, à imposer leur firme comme l’une des plus reconnues de la City en matière de droit commercial et financier.
La première clé du succès ? Une clientèle fidèle et prestigieuse qui a suivi les deux associés après leur départ du cabinet Roney & Co. Mais aussi le rôle de conseiller d’Edouard VIII endossé par George Allen : lorsque le monarque abdique en décembre 1936, l’avocat gère de main de

maître la crise politico-sociale qui précède l’événement, et assoit ainsi pour de longues années la réputation d’Allen & Overy. Difficile alors d’imaginer que la firme deviendra une structure internationale d'avocats d'affaires regroupant plus de quatre cent cinquante associés, implantée dans trente-quatre bureaux à travers le monde.

Des racines jusqu’aux ailes

De solides connections et de bonnes opportunités ne suffisent pas à garantir la pérennité d’une structure sur huit décennies. Tout au long du XXe siècle, Allen & Overy a surtout été porté par les personnalités fortes qui l’ont successivement dirigé.
La firme survit à ses fondateurs grâce au leadership de Jim Thomson, qui leur succède. La mort accidentelle de ce dernier dans les années 1970 marque également le début d’une période difficile. C’est ensuite sous la houlette de Bill Tudor John que la firme se réorganise. D’abord head of banking, promu managing partner en 1992, ce dernier propulse le cabinet vers la modernisation. L’expertise de l’équipe, notamment dans le secteur bancaire n’est plus à démontrer. Il s’agit surtout de transformer un groupe de spécialistes rompus aux opérations complexes en une équipe intégrée à une structure plus orientée vers les résultats et surtout plus compétitive.

Car à l’époque, les marchés européens s’ouvrent à la concurrence. Dès 1986, le « big bang » de l’administration Tchatcher fait rimer déréglementation financière avec compétition en autorisant les sociétés étrangères à être cotées sur le London Stock Exchange. Le petit monde du barreau londonien ne tarde pas à entrer lui aussi dans une dynamique plus concurrentielle. La fusion des cabinets Clifford Turner et Coward Chance donne naissance à Clifford Chance, premier géant du droit britannique. Un nouvel impératif se dessine alors pour les law firms : adapter leur taille aux besoins d’un marché qui s’élargit.
Chez Allen & Overy, cela se traduit d’une part par un doublement des effectifs sur la période  1980-1990. Mais aussi - et surtout - par l’envol de la firme sur la scène internationale. À Dubaï d’abord (en 1978), puis à New York (en 1985) et en Asie avec l’ouverture des bureaux de Hong Kong et Tokyo en 1988. Et en 1989, une première approche du marché européen sous forme d’alliance stratégique avec le cabinet Gide Loyrette Nouel. Les équipes misent sur leur complémentarité, chacune mettant au service de l’autre son expertise propre, respectivement en droit anglais et en droit français.


À la conquête de l’Est

Quand le mur de Berlin tombe, Allen & Overy possède donc déjà quelques bureaux à l’étranger mais demeure de facto un cabinet d’avocats anglais pratiquant le droit anglais. Alors que les opportunités fleurissent au-delà de l’ex-rideau de fer, où les privatisations vont bon train, la firme se distingue encore par son absence d’Europe de l’Est.

En 1996, les clients internationaux  de la firme génèrent pour la première fois plus de revenu que les Britanniques. Car entre temps, la structure est partie à l’assaut de la Pologne, de l’Allemagne et de la future République Tchèque. La vocation globale du cabinet est confirmée, mais la politique d’expansion est encore prudente. En dehors du Royaume-Uni, les étoiles montantes de la place de Londres prennent de l’avance sur Allen & Overy.


Il reste donc à définir une stratégie de développement international pour les années à venir. Faut-il construire les bureaux étrangers ab initio ou absorber un homologue local ? « Les deux », répond aujourd’hui Wim Dejonghe, managing partner monde d’Allen & Overy LLP depuis mai 2008. Pas d’approche systématique pour Allen & Overy.

Le choix de la fusion a été payant dans certains cas devenus emblématiques. En Italie par exemple, où l’union avec le cabinet Brosio Casati & Associati en 1998 permet à la firme de devenir un acteur majeur, fort de plus d'une centaine d'avocats répartis entre Milan et Rome. Mais aussi au Benelux où Allen & Overy a intégré en janvier 2000 une grande partie des équipes de l’ex-géant néerlandais Loeff Claeys Verbeke, accédant par là à un positionnement envié en corporate dans la région.

En revanche, Wim Dejonghe souligne que « si les fusions permettent d’acquérir rapidement une solide base de clientèle, partir de zéro laisse la liberté de sélectionner ses équipes ».

Une politique de recrutement sélective et stratégique

Sélectionner localement des talents seuls ou des équipes entières pour venir fonder ou renforcer les implantations à l’étranger, tel est le second volet de la stratégie internationale d’Allen & Overy. C’est cette approche qui a guidé la firme vers le rêve américain. Depuis 1985, les équipes de New York s’étoffent et peuvent aujourd’hui se targuer de surpasser en nombre  les branches américaines des autres cabinets londoniens. Pas de mariage anglo-américain à l’horizon. « Les caractéristiques même du marché et de la pratique du droit américain s’y opposent, en ce qui nous concerne », estime Wim Dejonghe.
Illustration plus récente de la capacité d’Allen & Overy à recruter à l’étranger des talents triés sur le volet, l’ouverture de deux bureaux en Australie (à Sydney et Perth) en 2010. Alors que d’autres firmes ont choisi la croissance externe pour partir à la conquête de la douzième économie mondiale, Allen & Overy débauche une équipe de dix-sept associés auprès de prestigieux cabinets locaux : Clayton Utz et Freehills. Le « cherry picking » [NDLR : politique de recrutement basée sur la sélection des meilleurs experts] peut donc occasionnellement servir la stratégie de développement du cabinet.


Les bouchées doubles

L’histoire du bureau français est elle aussi jalonnée de recrutements de qualité qui font aujourd’hui la force du cabinet sur la place parisienne.

Allen & Overy Paris a mis les bouchées doubles en 2010 avec l’arrivée de Marcus Billam dans l’équipe fusions & acquisitions et Michel Struys au sein du département concurrence. Mais rappelons que tout commence en 1998, lorsque le cabinet britannique met fin à l’alliance nouée dix ans plus tôt avec le Français Gide Loyrette Nouel, afin de voler de ses propres ailes. Et pour cause : six associés des équipes marchés de capitaux, fiscalité et fusions-acquisitions du cabinet Gide rejoignent Allen & Overy.
Cette première vague sera suivie d’une seconde avec, dans l'intervalle, la création des départements droit social et droit public : à partir de 2003, les nouveaux arrivants se suivent et l’offre de services en bénéficie. Parmi eux, Pierre Lenoir, Olivier Fréget et Jean-Dominique Casalta donnent l’impulsion à de nouvelles practices  - respectivement en contentieux/droit de la propriété intellectuelle, de la concurrence et de l’immobilier. Autre étape décisive en 2007 : la signature d'un accord d'exclusivité avec le cabinet Santoni & Associés dans les domaine de la restructuration de dettes et des procédures d'insolvabilité.
« S’appuyer sur des apports extérieurs tout en préservant un solide noyau interne », c’est ainsi que Jean-Claude Rivalland définit la ligne directrice du développement des compétences du cabinet. Venu du cabinet Gide en 1999, ce dernier a dirigé le département corporate avant de devenir managing partner du bureau de Paris. Depuis 2010, l’activité française est en effet supervisée par un managing partner unique assisté d’un conseil de gérance. Un système de direction destiné à mieux encadrer le développement du cabinet, tout en associant des partners clés au management.
 

Mieux s’équiper dans la tempête : cap sur le corporate

L’année 2009 marque le début d’un travail de fond sur le positionnement d’Allen & Overy.  Si la firme a fidélisé au fil des ans une clientèle de prestige, notamment dans le secteur de la banque, celle-ci a souffert des bouleversements économiques récents. 

« Cela n’a pas eu d’influence sur le segment des marchés de capitaux, sur lequel nous tenons à conforter notre position », se défend l’associé et membre du conseil de gérance François Poudelet. Les efforts se poursuivront donc au pôle banque-finance, notamment pour affirmer le leadership du cabinet sur le marché de la dette, des produits dérivés et de la réglementation financière.

Mais les aléas du contexte économique rendent néanmoins nécessaire d’élargir le champ de compétences des équipes.

Jean-Claude Rivalland développe : « C’est pour mieux accompagner nos clients que nous œuvrons au renforcement de l’homogénéité et des synergies interéquipes. » Mieux accompagner mais aussi enrichir le portefeuille de clientèle existant. Le bureau français part en effet à la conquête d’une clientèle nationale composée de grandes entreprises et de PME dynamiques.
La tâche est difficile pour une firme qui a pour carte de visite son expérience dans le secteur banque-finance, mais encore peu de visibilité sur le segment corporate. Allen & Overy semble pourtant bien décidé à relever le défi, à en croire Marcus Billam qui déclare avoir été « particulièrement séduit par l'ambition du cabinet à Paris et la firme mondiale ainsi que la qualité des équipes ».

« L’arrivée de Marcus Billam et de cinq collaborateurs est le point de départ d’une phase de développement pour les fusions-acquisitions du cabinet », commente Nicolas Bichot. Associé au sein du département fusions-acquisitions, ce dernier table également sur les complémentarités sectorielles : « Les aspects réglementaires sont la base de réflexion stratégique des entreprises, et c’est pourquoi nous travaillons au développement du volet regulatory comme point d’entrée privilégié de la clientèle M&A. »
En définitive, la performance d’Allen & Overy ne devrait plus reposer sur une activité dominante mais sur un panel de compétences connexes. Un pari déjà en partie réussi pour l’équipe corporate parisienne qui a accompagné dernièrement plusieurs grands noms du Cac 40, parmi lesquels la Société générale et GDF Suez.


Allen & Overy à l’heure de la restructuration

Le développement stratégique n’aura cependant pas été la seule priorité de l’année. En 2009, Londres a également mis la restructuration à l’ordre du jour, avec de beaux recrutements mais aussi un nombre important de départs, forcés ou volontaires.
Car s’équiper mieux, c’est aussi mobiliser plus d’associés sur les dossiers phares et faire la part belle aux opérations cross-border. Et donc, dans certains départements, réduire le ratio associés/collaborateurs. Cumulée au recul des activités finance londoniennes, ce besoin de réduire les effectifs s’est traduit par une restructuration qui aura coûté 44 millions de livres sterling. Contre toute attente, cette politique a permis une hausse des revenus sur l’année 2009.

Une fois sa structure repensée et optimisée, le cabinet conclut même la décennie avec un chiffre d’affaires par associé  de 2,2 millions de livres sterling, soit une rentabilité supérieure à celle de Clifford Chance. Allen & Overy serait-il sur le point de ravir la troisième place du magic circle à son principal rival ? Le cabinet se trouve certes face à des concurrents de poids mais peut miser sur des atouts en or. Son expertise indiscutée dans le domaine bancaire et financier d’une part. Mais aussi son appétit nouvellement aiguisé pour le segment corporate, et les investissements conduits en conséquence.

L’éternel quatrième du classement des firmes britanniques gagne du terrain. Géographiquement d’abord : en Australie récemment, mais aussi au Qatar, et en Allemagne avec un cinquième bureau. Stratégiquement surtout : Allen & Overy vise le « global 8 » des cabinets mondiaux. Et mise sur ses investissements en Europe continentale et aux Etats-Unis pour rester dans l’élite, voire accéder au podium.


(*) Expression désignant les cabinets d'avocats considérés comme les cinq premiers cabinets de Londres.

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