En matière de transformation responsable, on s’imagine souvent que les entreprises emboîtent le pas aux réglementations. À moins que ce ne soit l’inverse. Rencontre avec Guillaume Jubin, président et associé du cabinet de conseil en stratégie d’impact et communication Wemean.

Décideurs. Loi Climat et résilience, stratégies bas carbone, RE2020, CSRD, les réglementations et feuilles de route ESG pour les entreprises se multiplient. Selon vous, la législation précède-t-elle l’action des sociétés ?

Guillaume Jubin. Bien avant l’action du législateur, les entreprises sont invitées à aller de l’avant par leurs parties prenantes ; aussi bien leurs collaborateurs, leurs clients et surtout leurs futurs talents et ceux qui les financent, leurs actionnaires et investisseurs. En la matière, le rôle du législateur consiste à mettre en action et à rendre obligatoires des normes dont la mise en œuvre a souvent déjà été amorcée dans les entreprises les plus en avance. Dernier exemple en date, la mise en place de la CSRD qui permet d’intégrer une cohérence obligatoire dans le reporting extra-financier à travers de nouveaux standards qui s’appliquent à presque toutes les entreprises. En d’autres termes, entreprise, législateur et société civile agissent et se répondent mutuellement.

À l’ère de la sobriété, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) mérite de s’intégrer au plus haut niveau de la gouvernance. L’engagement des dirigeants dans cette transformation est-il concret ?

À l’image de la transformation digitale et de l’IA aujourd’hui, la transformation responsable des entreprises est un mouvement profond qui ne connaîtra pas de retour en arrière quelles que soient les hésitations qui peuvent survenir. L’entreprise a de plus en plus de responsabilités envers la société et les dirigeants en ont tous pleinement conscience… tout comme des risques que cela implique en retour. Les groupes du SBF 120 ont intégré les sujets de transformation au sein du top management depuis plusieurs années. Preuve en est de la place occupée par la RSE dans la gouvernance. L’enjeu est désormais double : intégrer d’abord le changement à tous les niveaux de l’entreprise afin de faire évoluer les modèles d’affaires de façon tangible et ensuite faire entrer dans cette dynamique les entreprises qui en sont encore loin. La CSRD est un "mur à franchir" pour beaucoup d’entreprises, il ne faut pas l’oublier ; les aider à passer ce cap est déjà la première chose à faire.

"L’heure est plus que jamais à la prudence dans la communication des dirigeants"

Les stratégies de communication des dirigeants constituent l’une des briques du changement. Quelles nouveautés identifiez-vous en la matière ?

L’heure est plus que jamais à la prudence dans la communication des dirigeants qui ne veulent pas d’une surexposition, impossible à gérer sur tous les fronts, de plus en plus nombreux, technologiques, environnementaux, sociaux, sociétaux, géopolitiques, etc. Depuis deux ans, cette tendance nouvelle est manifeste. L’entreprise est attendue sur tous les fronts et l’ère du patron "gourou" est clairement révolue, les exceptions confirment finalement cette règle. Ainsi aux États-Unis, qui étaient en pointe en matière de "CEO activism", les dirigeants prennent désormais moins la parole, confrontés aux attentes multiples, aux injonctions contradictoires des parties prenantes et de la société ainsi qu’aux critiques venues de tous bords. Si la responsabilité des entreprises est croissante, les risques à gérer le sont également. Il est nécessaire de prévenir ces risques afin que les dirigeants soient des ambassadeurs des changements concrets de l’entreprise, et ce, de façon opérationnelle, directe, proche de leurs équipes et métiers. Quitte à donner la parole directement aux personnes qui ont porté les projets.

Une grande partie des missions de communication que nous accompagnons ont trait à la transformation de l’entreprise et à sa responsabilité qui ne se limite plus seulement à la RSE. Dans un tel contexte, l’heure est au respect de nouveaux standards de communication corporate, centrés sur l’action, la responsabilité, la fierté… et l’humilité de l’entreprise.

"À l’image de la transformation digitale, la transformation responsable des entreprises est un mouvement profond qui ne connaîtra pas de retour en arrière"

Quel est votre état des lieux en matière de CSRD ?

Si la CSRD représente de nombreuses contraintes et une charge de travail supplémentaire très importante pour les organisations, elle incarne également une occasion de porter des sujets qu’il était parfois difficile de traiter seul au sein de la direction RSE. Les directions des opérations ou les directions métiers peuvent ainsi mieux anticiper leurs obligations et enjeux à venir. Cette réglementation permet également de mettre au défi les entreprises prestataires afin de rendre la chaîne de valeurs vertueuse. Les PME et ETI, plus en retrait sur ces sujets, peuvent amorcer une transformation utile pour se distinguer, notamment lors de levées de fonds. La CSRD entre dans sa phase opérationnelle à partir de 2025, nous accompagnons les entreprises à la mettre en œuvre de façon concrète en matière de double matérialité, d’analyse d’écarts, de gestion des données mais aussi à préparer leur communication autour de cette norme qui va standardiser, uniformiser et aussi ouvrir de nouveaux risques de réputation.

La transformation responsable concerne l’ensemble des secteurs. Les visions holistiques et les partenariats deviennent-ils monnaie courante ?

En matière d’IA, de nombreuses entreprises s’allient afin de maximiser la recherche, les coûts et les bases de données. Ce n’est pas encore le cas sur le plan de la transformation responsable. Le phénomène s’illustre notamment à travers des référentiels d’impact qui ne sont pas communs. À cet égard, la CSRD contribuera sûrement à une harmonisation, mais elle n’est pas encore là. Quelques exemples laissent toutefois entrevoir un changement, notamment dans le domaine de la santé où les entreprises s’accordent sur des normes et standards communs. Pour autant, beaucoup reste encore à faire.

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