Sa gouaille éminemment sympathique et son professionnalisme ont conquis les personnalités de tous bords comme les anonymes du quartier. Rencontre avec le cordonnier Antoine Rondeau.

Décideurs. Comment devient-on « ­Meilleur cordonnier de Paris » élu par le magazine Vogue ?

 Antoine Rondeau. Sans y prêter vraiment attention ! Le trophée est exposé dans ma boutique. Ce n’est pas de la prétention, c’est plutôt de l’ambition. Ce qu’il faut, c’est réussir à durer, comme je le fais depuis 35 ans. Et dire que j’ai mis dix ans, à mes débuts, avant d’oser dire ce que je faisais comme métier !

 Vous êtes nantais d’origine. Comment êtes-vous arrivé rue de Miromesnil ?

J’ai arrêté l’école à 14 ans pour entrer en apprentissage et passer mon CAP. Je suis passé par l’Angleterre puis l’Espagne avant de m’installer à Paris en 1984. Un an plus tard, j’ai commencé à cette adresse pour un remplacement de trois mois… Et je suis toujours là ! J’ai d’abord été salarié, puis gérant, à nouveau salarié, et j’ai fini par acheter en 1996. À l’époque, il y avait peu de cordonneries haut de gamme. Aujourd’hui, nous sommes une dizaine. Mon luxe, c’est l’indépendance.

 Pour quelles spécialités vient-on jusque chez vous ?

Pour toute prestation classique. ­Talons, patins… Mais en particulier pour le ressemelage cuir, les teintures et la restauration des mocassins à picots, comme les Tod’s, que personne d’autre ne veut réparer.

 Quelle est votre clientèle ?

Je m’occupe aussi bien du gardien d’immeuble que du P-DG en passant par l’employé de bureau. Je fais en sorte qu’ils se sentent bien chez moi. Tout le monde est de la même façon, que ce soit la boulangère ou Nicolas Sarkozy, dont je m’occupe depuis bientôt vingt ans.

À l’instar des barbiers, on assiste à un retour de votre métier sur le devant de la scène depuis quelques années. En quoi a-t-il changé depuis vos débuts ?

On ne peut plus faire ce que l’on veut, comme refuser une prestation. On se doit de toujours dire oui au client. Là, je viens d’accepter une paire de bottes Free Lance… La prestation s’annonce beaucoup plus chronophage que je ne l’avais estimée. J’y passerai des heures, mais c’est ainsi. Quant à la vogue de la patine et du glaçage, qui s’est beaucoup développée ces derniers temps, je l’observe avec circonspection. Il n’y aura pas la place pour tout le monde. Gare à la casse d’ici deux ans… Moi, j’ai choisi mon camp. Je préfère le travail au bichonnage.

 À 56 ans, comment envisagez-vous l’avenir de L’Atelier d’Antoine ?

 Croyez-le ou non, le futur de la cordonnerie appartient aux femmes. La plupart des C.V. que je reçois viennent de candidates diplômées jusqu’à Bac + 5. Avec mon employée Zoé, que j’ai commencé à former il y a dix ans, j’ai le projet de m’associer pour une deuxième boutique. Je veux me développer, pas me reposer. Je cherche à lancer la cordonnerie au féminin, en veillant ‒ pourquoi pas ? ‒ sur plusieurs ateliers, un peu comme Charlie au milieu de ses Drôles de Dames ! (rires)

 Des regrets ?

Je n’ai pas réussi à avoir Macron. Il a une garde trop rapprochée. C’est dur de se faire connaître auprès de lui. J’aurais aussi aimé avoir Johnny Hallyday, mais je m’y suis pris trop tard…

 Une déformation professionnelle ?

Je commence toujours par regarder les chaussures des gens. Un peu comme un coiffeur regarde une coiffure pour vérifier si c’est bien fait et… Si le client n’est pas allé voir ailleurs !

Trois indiscrétions sur Antoine…

- Il roule en Harley Davidson.

- Il pratique la méditation.

- En 1987, dans son atelier, il confectionne pour son plaisir une botte miniature. Une cliente lui donne son numéro de téléphone : « Rappelez-moi quand elle sera terminée ». Il ne le sait pas encore, mais c’est la directrice France du Livre Guinness des records. Antoine se voit dans la foulée décerner le record de la plus petite botte du monde !

 Guillaume Tesson

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