Une adresse rue de la Paix, des bijoux d’exception et des méthodes de communication empruntées au monde de la grande consommation… Bienvenue chez Mauboussin, l’enfant terrible de la joaillerie qui, depuis près de vingt ans, désacralise l’univers corseté du luxe sous la houlette d’Alain Nemarq, expert dans l’art de retourner les marques et dans celui de dynamiter les codes.

Des campagnes d’affichage en quatre par trois dans le métro, des promotions matraquées par SMS, des créations aux noms de gloss pour ados  («Kiff and kiss », « Nuit d’amour », « Sex and Love »…) et une politique de prix bas assumée … Vous n’êtes ni chez Zara ni chez Yves Rocher mais chez Mauboussin, le joaillier de la rue de la Paix qui, depuis près de vingt ans, aiguillonne le marché à coup de tarifs attractifs et de méthodes de communication aux antipodes des codes du luxe. Scandalisant les uns, séduisant les autres et passant outre les figures imposées de l’univers de la bijouterie pour se bâtir un territoire à part : classique dans sa politique produits, transgressif sur le reste.

Anticonformisme

Une spécificité dont Alain Nemarq, président du groupe, fera le moteur du redressement du groupe dès son arrivée aux commandes, en 2002, mais qui, selon lui, préexistait dans l’ADN de cette marque habituée depuis près d’un siècle déjà à une forme d’anticonformisme. Pourtant, lorsqu’en 1827, Georges Mauboussin hérite de son oncle de la maison Noury, atelier de joaillerie créé plusieurs décennies plus tôt qu’il rebaptise aussitôt, celle-ci est plus connue pour la rigueur de ses créations que pour leur originalité. Médaille de bronze à l’exposition universelle, réputation d’excellence dans la qualité des pierres et des créations, maîtrise du sur-mesure… L’ensemble est classique et en tous points conforme aux attentes de l’époque. Les premières audaces apparaissent avec l’invention de la « joaillerie dentelle » et le recours au platine, mi-XIXᵉ, pour alléger le poids des parures « dans un souci féministe et très avant-gardiste d’améliorer le confort », note Alain Nemarq.

Le monde a changé. Le bijou n'est plus ce trophée offert par un homme à un autre trophée : sa femme

Puis lorsque, quelques décennies plus tard, Mauboussin s’aventure le premier dans le domaine des pierres de couleur  (saphirs, rubis, émeraudes…) et, enfin, ose dès 1935 faire entrer les pierres semi-précieuses ( aigues marines, améthystes…) dans l’univers de la haute joaillerie. De quoi valoir à la marque une réputation de précurseur et lui attacher un temps une clientèle d’artistes tels que Charlie Chaplin et Marlene Dietrich. Viendront ensuite les années d’embourgeoisement, puis la décennie faste durant laquelle la maison devient le joaillier attitré du frère du sultan de Brunei, et enfin la récession lorsque cette rente disparaît brutalement et contraint Patrick Mauboussin, président de l’époque, à faire appel à un actionnaire – Dominique Frémont – avant de se résoudre à passer la main en 2001.

Accessibilité

Quelques mois plus tard, c’est Alain Nemarq, un homme de la mode et du textile, qui est appelé pour lui succéder. « Je ne connaissais rien à la joaillerie, le chiffre d’affaires plafonnait à 12 millions alors que les pertes annuelles atteignaient 20 millions, se souvient-il avant de conclure : Il fallait être fou pour y aller ! ». Ce qu’il fait pourtant, s’attelant à une entreprise de restructuration drastique (fermeture de l’ensemble des points de vente à l’exception de celui de la place Vendôme, nombre d’employés ramené de 144 à 23… ) avant de pouvoir, deux ans plus tard, envisager une stratégie de relance. Celle-ci passera par une refonte complète de l’offre et du positionnement, repensés, explique Alain Nemarq, pour faire écho aux évolutions de la société elle-même. « Le monde a changé, le bijou n’est plus ce trophée offert par un homme à un autre trophée : sa femme, estime-t-il. Pour moi, cette approche ne correspond plus à la réalité de la société actuelle. » Une société dans laquelle la femme est autonome financièrement et libre de ses choix, même de celui de s’acheter ses propres bijoux. C’est sur cette vision de la femme actuelle qu’Alain Nemarq décide de construire sa stratégie de redressement avec, pour la porter, un mot d’ordre : l’accessibilité. Celle qui passe par le prix et celle qui s’entretient par la communication. De quoi permettre à Mauboussin de se démarquer de ses concurrents, certes, mais également, rappelle Denis Bonan, cofondateur du cabinet de conseil par la marque Denelen, l’affranchir de bon nombre de règles dans un univers d’ordinaire peu porté sur les stratégies de rupture…

« Aller au contact »

 « En optant pour cette stratégie, Mauboussin remettait en cause une convention fondamentale du secteur, à savoir que le luxe est sacré, qu’il exige de maintenir une distance, de valoriser un créateur, de créer de la rareté, explique ce dernier. En décidant de rendre accessible la haute joaillerie, Alain Nemarq a choisi de passer outre ces attendus. » Une transgression d’autant plus risquée qu’elle va se traduire par l’application à l’univers corseté du luxe des codes de la grande consommation : spots télévisés, affichage dans le métro, publicités dans les magazines people, noms fleur bleue accolés aux produits, prix bas affichés et, tabou absolu, rabais… « C’est tout cela qui rend le produit accessible et, ce faisant, désacralise la notion de luxe », résume Denis Bonan. Tout cela qui permet d’accéder à une cible élargie afin de créer du volume, conformément à la stratégie d’une marque qui, désormais, insiste son président, « ne vend plus du statutaire mais du désir » et qui, pour cela, « place le produit devant la marque et affiche le prix. » Révolutionnaire mais efficace. « Mauboussin cible les femmes, répète Alain Nemarq. Pour les atteindre, il faut aller au contact : descendre le bijou dans la rue, le rendre transparent… ». À ceux – nombreux– qui s’en offusquent, il répond simplement qu’il est contre l’autocensure. « Pour moi, le support de communication importe peu, seuls comptent le message et le fait qu’il atteigne sa cible, poursuit-il. Tout ce que je fais, c’est suivre l’évolution du monde : j’ai saisi une réalité sociologique et je l’ai convertie en levier commercial. » Et en levier de transformation de l’entreprise qui, en 2017, affichait 73 millions d’euros de chiffre d’affaires et 8 millions d’Ebitda, comptait 200 salariés, cinquante boutiques en France et une vingtaine à l’étranger. « Pas de miracle », relativise Alain Nemarq, mais un redressement bien réel.

"Mauboussin a su préserver la dimension de rêve et d'imaginaire qui accompagne le bijou, tout en rendant ce rêve accessible".

Ancrage luxe

« Exemplaire » même, estime Denis Bonan pour qui le succès actuel de la marque tient à l’équilibre maintenu entre le classicisme de son offre et le caractère transgressif de sa mise en scène. « Mauboussin n’a pas cherché à transiger sur la qualité et la rigueur, son approche produit est demeurée assez classique, c’est pour cela que ça a fonctionné, explique-t-il : parce qu’il a su préserver la dimension de rêve et d’imaginaire qu’il y a derrière le bijou, tout en rendant ce rêve accessible. » Parce qu’en dépit de sa liberté de ton et de sa politique de prix aux accents low cost, des symboles forts réaffirment l’ancrage luxe de la marque. Parmi ceux-ci l’adresse rue de la Paix  ̶  « un lieu référent, très connoté »  ̶  et la réalisation de pièces uniques telles que le diadème en saphirs et diamants porté par la reine du Danemark lors de la récente visite du président Macron... Idéal pour affermir la crédibilité de la marque sans nuire à l’élargissement de son territoire pour toucher le plus grand nombre. Un objectif encore une fois contraire aux pratiques du secteur mais dont Alain Nemarq a fait le fer de lance de sa stratégie. « J’ai vendu la place Vendôme pour aller rue de la Paix parce qu’elle générait plus de trafic, et que j’aime être au cœur de la cité, au cœur de la vie, résume-t-il. S’en extraire ne peut être une logique pérenne, même pour une marque de luxe ».  Encore moins lorsqu’on a fait le choix d’être un « joaillier classique» mais affranchi des codes de son univers. Provocateur, diront certains. Libre, répond l’intéressé.

Caroline Castets

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