La 8e audience du procès des assistants parlementaires du Rassemblement national devant le tribunal correctionnel de Paris s’est ouverte le mardi 22 octobre 2024. C’est au tour de l’ex-eurodéputée Mylène Troszczynski et de son assistant de l’époque, Julien Odoul, de justifier du travail de ce dernier, également conseiller spécial de Marine Le Pen.

“Vous avez dû rencontrer madame Arnautu qui était elle aussi en pause cigarette.” Ricanements dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Paris où le procès-fleuve des assistants parlementaires du Rassemblement national suivait son cours mardi 22 octobre 2024. C’est l’avocat du Parlement européen, Patrick Maisonneuve qui s’amuse de ce que Mylène Troszczynski, eurodéputée de 2014 à 2019, soit, comme Marie-Christine Arnautu interrogée la veille, sortie “s’allumer une blonde” au moment où la cheffe du Rassemblement national aurait donné ses directives sur la gestion de l’enveloppe parlementaire. Selon des témoins, Marine Le Pen aurait affirmé qu’un assistant par député européen suffisait pour accomplir les tâches parlementaires, concluant qu’il fallait lui donner “une délégation pour embaucher des assistants”. Moyennant quoi, les eurodéputés n’auraient pas à verser une partie de leur rémunération au parti.

Mylène Troszczynski, jugée pour détournement de fonds publics, n'a aucun souvenir de cela – comme de beaucoup d’autres choses. À sa décharge, il faut dire que les faits datent d’une décennie. “J’ai assisté à cette réunion de manière sporadique“, souffle-t-elle. Les formalités administratives l’avaient accaparée. Elle se souvient pourtant de cette réunion de juin 2014 : c’est à ce moment qu’elle a décidé d’intégrer la Commission au marché intérieur. Plus tard, elle doutera de la date citée dans les débats pour ces réunions, en juin, soit plusieurs semaines avant qu’elle ne découvre l’ampleur de la tâche de députée européenne. Elle se souvient bien de sa déconvenue, d’être entourée de gens beaucoup plus “capés”. “ Je n’étais pas à la hauteur et je crois que j’ai fini par devenir une bonne députée. Julien Odoul a assisté un peu à ça mais il a voulu faire autre chose”, analyse-t-elle des années après. On a envie de croire cette femme organisée qui a démarré sa vie professionnelle comme hôtesse d’accueil pour se hisser à un poste de chargée de communication, chez Dessange International au moment où elle remporte son siège de députée. Entre-temps, elle s’est lancée dans la politique. Dès 2009, elle rejoint les rangs du parti d’extrême droite et devient conseillère régionale de Picardie en 2010. C’est Marine Le Pen qui lui propose de briguer un mandat à Bruxelles en 2014. Le soir des résultats des élections, avec son mari, ils y réfléchissent à deux fois avant de confirmer son nouveau rôle. Elle a eu peur de “s’asseoir sur quinze ans d’expérience professionnelle”, peur de l’implication qu’exigeront ses nouvelles fonctions. Elle admet volontiers, et s’en sert d’ailleurs comme défense, avoir connu deux à trois mois de flottement. Une période pendant laquelle elle a laissé Grégoire Faugeron, son assistant parlementaire accrédité, et Julien Odoul, son assistant parlementaire local, dans le “flou”.

Tutelle politique

On comprend quelques heures plus tard que Julien Odoul, poursuivi, lui, pour recel de détournement de fonds publics – pour avoir fictivement occupé le poste d’assistant parlementaire pendant qu’il travaillait pour Marine Le Pen – a profité de cette fenêtre de tir pour gravir les échelons au Carré, le siège du parti. Dans son contrat de travail, plutôt mieux détaillé que les autres, relève la présidente Bénédicte de Perthuis, ses lieux de travail sont fixés à l'adresse du RN, ce qui n’a rien d’illégal mais introduit un risque, fera remarquer Patrick Maisonneuve, et à son domicile. C’est au parti que la députée et son assistant se seraient vus pendant la durée de leur collaboration (le contrat court d’octobre 2014 à juillet 2015). Si la pointeuse du RN indique les allées et venues de Julien Odoul, elle reste muette pour Mylène Troszczynski. “Je n’avais pas de badge moi, je sonnais et on me laissait entrer. Comme il n’était pas à Bruxelles, ça me concernait moins de savoir où il travaillait.” Quant aux autres éléments qui pourraient prouver la véracité de leur relation de travail, ils sont aussi fantomatiques. Les relevés de téléphone récoltés pendant les investigations comptabilisent 18 appels entre eux pour la période du contrat de travail ; 12 appels au moment de l’embauche de Julien Odoul, 6 vers la fin de sa mission, et 2 seulement pour le reste du temps. Ce n’est pas Mylène Troszczynski qui a procédé au recrutement de Julien Odoul. Elle prétend l’avoir choisi parmi d’autres candidats “J’en ai vu 4 autres. On m’avait transmis son CV en me disant, ‘Tiens c’est quelqu’un de bien.’” Leur première rencontre n’aura lieu qu’un mois plus tard, au congrès du parti à Lyon en novembre 2014, selon leurs dires. Dires contredits par un mail de Julien Odoul à Marine Le Pen dans lequel il demande à celle qu’il considère comme sa “tutelle politique” s’il peut se rendre au Parlement européen pour découvrir son fonctionnement, et “faire connaissance” avec sa députée. Le courriel date de février 2015, soit plus de quatre mois après son embauche. Julien Odoul explique qu’il voulait faire plus ample connaissance, “boire un café”, et qu’il est courant dans le milieu politique de ne jamais voir celui ou celle pour qui on travaille. Là-dessus, il est raccord avec Marine Le Pen pour qui il n’est pas nécessaire de connaître son député pour l’assister. Autre point qui retient l’attention du tribunal : pourquoi l’assistant demande-t-il l’autorisation à Marine Le Pen d’effectuer ce déplacement et de rencontrer Mylène Troszczynski ? Pourquoi s’adresse-t-il à la dirigeante du RN comme à son employeur ? Comme dans cet échange où il insiste sur la nécessité de la prévenir sur les photos de charme qu’il a faites pour financer ses études ?

“Alors vous étiez si content de ce travail que vous vous fichiez de savoir de quoi il s’agissait”

Faut-il y voir un rapport avec sa déclaration, au cours de son audition, selon laquelle son “vœu le plus cher” était de travailler pour Marine Le Pen ? Ou avec le fait qu’il soit inscrit dans l’organigramme du parti daté de 2015, comme conseiller spécial du cabinet de Marine Le Pen ? Ou encore avec le fait que dans son curriculum vitae mis à jour en 2015 figure son titre de conseiller spécial du cabinet mais pas celui d’assistant parlementaire ? Mais aussi avec le fait que depuis décembre 2014, au moins, il signe “Julien Odoul, membre du cabinet” ou “Julien Odoul, conseiller spécial de Marine Le Pen”. À mesure que les magistrats du siège et du parquet sortent les indices de leur sac, Julien Odoul étale son ambition pour se justifier. “En politique, il faut toujours manifester ce que l’on veut”, assure-t-il. Il signe ainsi avant de recevoir le titre honorifique, en février 2015, pour montrer sa proximité avec Marine Le Pen. Il le met en avant dans son CV pour “se faire mousser”. Parce qu’être conseiller spécial de Marine Le Pen, c’est une belle carte de visite, et beaucoup plus valorisant que d’être l’assistant parlementaire de Mylène Troszczynski, bien moins connue que l’héritière des Le Pen.

Se rendre utile ailleurs

On comprend vite que Julien Odoul a de hautes aspirations. Passé par le parti socialiste (quelques mois seulement entre 2006 et 2007), le cabinet de Bruno Le Maire, puis l’UDI jusqu’au 31 août 2014, il cherche son parti de cœur, qui porte ses idées et où il pourra faire carrière. Poussé par un ami, il se rend aux universités d’été à Marseille où il rencontre Marion Maréchal et, de fil en aiguille, se lie avec Philippe Martel, chef de cabinet de Marine Le Pen. On lui fait alors “miroiter” un poste au cabinet, qu’il obtient selon la thèse de l’accusation et l’analyse des juges. Mais ce qui met sur la piste les magistrats, c’est aussi un échange de SMS avec Philippe Martel, qui lui disait dans un SMS du 12 septembre 2014 :“Ouf, c’est OK montage financier ds (dans) une semaine.” Suivi de ; “Tu seras peut-être pris en charge par le Parlement européen, ce qui est parfaitement neutre;” 

“Alléluia”, répond Julien Odoul. Quand la juge lui demande si c’est bien parce qu’il a décroché le poste de ses rêves de conseiller au cabinet de la dirigeante du RN qu’il manifeste tant de joie, l’assistant nie. Il est soulagé car il avait démissionné de son emploi à l’UDI en août 2014 et que cette promesse mettait un terme à une “période d’angoisse”. “Alors vous étiez si content de ce travail que vous vous fichiez de savoir de quoi il s’agissait”, résume Bénédicte de Perthuis. Son interlocuteur soutient qu’il a postulé pour travailler au cabinet et qu’il s’est finalement retrouvé assistant parlementaire de Mylène Troszczynski, tout en consacrant son temps libre au parti à titre bénévole. “Je vis pour la politique (…) Je ne compte pas mes heures;” Ce qui ne colle pas tout à fait avec la suite de l’échange : “peu importe le portage, je suis vraiment ravi de travailler au cabinet. Elle ne le regrettera pas.” Peu importe en effet, puisque dès le début de son contrat, sa députée lui laisse le loisir de se rendre utile ailleurs, le temps de roder son mandat, la députée est sous l’eau. Elle revient pourtant plusieurs fois sur le travail d’équipe qu’elle a voulu mettre en place, expliquant que Grégoire Faugeron échangeait avec Julien Odoul. Les avocats de la défense l’invitent à raconter cette fois où “Grégoire a envoyé un message bien senti à Julien”, qui avait fait une mauvaise sortie sur Twitter lors d’un voyage à Moscou. Un moment éloquent sur la collaboration des assistants parlementaires de la députée Troszczynski pour la défense. Les procureurs, eux, s’interrogent sur la “mutualisation curieuse” selon laquelle la députée faisait travailler ensemble des gens qui avaient à peine l’air de se connaître. “Je ne sais pas quoi répondre”, boude-t-elle, même si elle a bien tenté d’expliquer que chacun travaillait dans son coin, l’un à Bruxelles, l’autre à Paris.

“Ce n’est vraiment pas Sophie Montel que je serais allée voir pour pleurer”

Quand on interroge Mylène Troszczynski sur les missions de Julien Odoul, elle explique qu’elles étaient un peu “standard”, “je les ai affinées au fil de l’eau”. L’eau, sous laquelle elle était pendant les premiers mois de son mandat donc. Mais alors, pourquoi se priver de l’aide de Julien Odoul, lui demande-t-on du côté du parquet ? Vous ne travaillez pas avec votre assistant ? “Un peu mais pas assez”, avoue-t-elle, la façade commence à se fissurer. Elle se justifie : “on ne comprend rien en arrivant au Parlement européen, il est donc difficile d’assurer la communication aux électeurs et aux militants. On n’a rien à dire.” Pendant ces trois ou quatre premiers mois (ils ne sont pas d’accord avec le parquet), elle ne voit que deux ou trois fois son assistant. Quand la juge demande à Mylène Troszczynski si elle confirme avoir eu l’impression d’être manipulée comme elle l’a dit pendant les investigations, elle répond : “J’ai bien compris que l’ambition première de Julien Odoul était de travailler pour Marine Le Pen.” Aujourd’hui, elle corrige le terme employé. Elle a été “déstabilisée” par la découverte d’échanges au sujet de son assistant dont elle n’était pas en copie. Ses avocats rugissent : ce n’était pas une déclaration spontanée de sa part, et font comprendre entre les lignes que les enquêteurs lui auraient tiré les vers du nez.

Même distorsion de la réalité selon l'ancienne eurodéputée, qui travaille toujours au Parlement d'ailleurs, s’agissant du “Sophie Montel Gate” [petit clin d’œil de la défense au Couscousgate], du nom de l’ancienne députée RN qui raconte dans son livre Bal tragique au Front national, sorti en 2019, l’avoir entendue pleurer et se plaindre qu’elle “leur avait fait confiance”, qu’ils lui ont fait signer un contrat avec quelqu’un qu’elle ne connaît pas. “Ce n’est vraiment pas Sophie Montel que je serais allée voir pour pleurer”, ajoutant qu’en plus, elle était “vachement loin d’elle au niveau des bureaux”. Cette scène se déroule au moment où le Parlement européen tire la sonnette d’alarme début 2015 sur un éventuel détournement de fonds. C’est aussi à peu près à ce moment qu’est rédigé un avenant au contrat de travail de Julien Odoul. Ses missions sont précisées et on supprime de ses lieux de travail l’adresse du siège du parti. Pour le Parquet, ça donne une “furieuse impression” qu’on a voulu supprimer les tâches qui le rattachaient au parti. D’ailleurs, de ce côté du tribunal, on a de plus en plus de mal à entendre le discours sur la connexité des missions de l’assistant et du bénévole du parti.

Le diable dans les détails

Une question surtout taraude le tribunal : les traces du travail de Julien Odoul. La défense du Parlement européen fait remarquer qu’en 2015, on utilisait déjà des outils informatiques pour travailler, surtout quand on travaille à distance, comme lui qui habitait dans le 15e arrondissement de Paris (“une heure de transport pour aller à Nanterre”, nous informe Julien Odoul). Et tout ce que produit le parti d’extrême droite se résume à quelques maigres échanges de textos, quelques mails et une dizaine de coups de fil, notamment un message de Julien Odoul qui demande à sa députée, peu après la plainte du Parlement, les codes Twitter. Les avocats de la défense corrigent, c’est écrit “redonner”, signe que ce n’est pas la première fois que Julien Odoul sollicite l’accès au réseau social à sa députée. Ce n’est pas le diable qui se cache dans les détails, mais bien les preuves du travail de Julien Odoul comme assistant parlementaire. Mylène Troszczynski donne des explications moins fouillées : elle ne s’en souvient pas, ses assistants travaillaient en équipe et passaient par “d’autres canaux”. À la question de savoir pourquoi le RN ne produit pas de copies d’écran des messages de ces “autres canaux” ou pourquoi Julien Odoul n’a pas fourni son agenda ou ses traitements de texte pour prouver les tâches effectuées pour sa députée ? La défense répond que les enquêteurs n’ont pas exploité ces supports. Et puis le parti n’a pas de politique d’archivage. À écouter la cour, on a l’impression que les messages sont tous plus accablants les uns que les autres, comme ceux envoyés à Julien Odoul par Mylène Troszczynski, lus par les conseils du Parlement européen : “Ce qui compte c’est que tu sois conseil spécial de Marine”, suivi de “Maintenant, on va devoir prouver le temps passé à travailler pour moi”, suivi de smileys tirant la langue. Ou celui dans lequel le conseil spécial fait part de sa déception à Marine Le Pen de l’évolution des ressources humaines au parti et aussi du fait qu’il est arrivé au Carré “il y a un an et quatre mois”, en octobre 2014 donc, date de début de son contrat d’assistant parlementaire. Il y a aussi ce mail de Yann Le Pen qui invite à faire signer les papiers par “Julien” en l’absence de “Marine et Nicolas [Bay]”. Le parquet porte le coup de grâce avec un tableau Excel d’imputation des dépenses sur l’enveloppe parlementaire, trouvé dans les fichiers de monsieur Charles Van Houtte, sur lequel figure une petite indication “FN” devant certains assistants parlementaires. Marine Le Pen était absente. Peut-être en a-t-elle eu assez de voir ses alliés patauger.

Anne-Laure Blouin 

 

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