Vestiaire collective annonce la couleur. Avec ses 58 millions d’euros tout juste levés, la pépite française se lance à la conquête de l’Asie et compte bien consolider sa présence outre-Atlantique. Pour Olivier Marcheteau, directeur général, l’objectif est clair : devenir le numéro un mondial de la vente en ligne du luxe d’occasion.

Décideurs. Comment avez-vous choisi le nom « Vestiaire Collective » ?

Olivier Marcheteau. À l’origine l’entreprise s’appelait « Vestiaire de copines ». Mais au moment de commencer notre internationalisation en Grande-Bretagne, notre nom nous est apparu un peu trop français. L’idée d’accoler « collective » correspondait bien à la dimension communautaire de la plate-forme. Le mot « vestiaire » est quant à lui très lié à l’univers de la mode et connu dans les pays de langue anglo-saxonne. Nous voulions à la fois conserver notre identité d’origine tout en la colorant d’une teinte plus internationale.

Le changement de nom d’une entreprise est une décision qu’il vaut mieux prendre tôt dans la vie d’une société car cette décision entraîne la perte de tout son référencement naturel sur les moteurs de recherche. Lorsque nous avons pris le nom de « Vestiaire Collective » en 2013, l’année fut compliquée en termes de marketing et nous avons constaté une perte de trafic sur Google. Mais il nous fallait impérativement nous lancer à l’international. Aujourd’hui, je crois que ce changement nous a été très bénéfique : nous avons une identité bien française identifiable de tous. Notre nom connote notre héritage européen dont nous sommes très fiers et séduit une clientèle internationale hype et branchée.

 

« 100 % des produits vendus sur la plate-forme passent par nos locaux pour y être contrôlés et authentifiés. » 

Comment Vestiaire Collective se différencie-t-elle des autres plates-formes de commerce en ligne ?

Nous avons un modèle vraiment à part et un positionnement unique sur le marché. Le secteur du luxe et de la mode d’occasion est mondial : les marques haut de gamme et de luxe réussissent sur tous les continents. C’est une aubaine pour nous. Notre business model a fait ses preuves et nous nous sommes fixé l’objectif volontairement ambitieux de l’exporter à travers le monde. Nous voulons réussir à faire de Vestiaire Collective une société mondiale. Il nous paraît primordial qu’il y ait des réussites hexagonales qui ne soient pas que des succès en France ou en Europe. De ce point de vue, nous sommes assez atypiques dans l’écosystème français. Notre enjeu majeur est de gérer notre croissance rapide tout en préservant la qualité et la pertinence de notre offre.

 

Quelles sont les spécificités de votre business model qui expliquent votre succès ?

Notre réussite repose sur trois spécificités. Tout d’abord, nous avons fait le choix de la sélectivité des pièces qui composent notre catalogue en ligne. Ce faisant, nous respectons l’héritage des marques de luxe qui dépensent énormément en marketing et en savoir-faire technique et artistique pour créer des produits uniques au monde. Aujourd’hui, notre plate-forme recense six mille pièces minutieusement choisies par nos stylistes. Nous rejetons environ 30 % des produits qui nous sont soumis pour des raisons de marque ou de mauvais état par exemple. Ce choix garantit la qualité et la cohérence de notre catalogue en ligne. Ensuite, nous nous démarquons sur le plan du contrôle et de l’authentification que nous opérons sur chacune des pièces mises en vente. Enfin, la dimension communautaire de Vestiaire Collective constitue une vraie force. Les acheteurs interagissent, échangent, commentent et se suivent. Nous donnons vie à une communauté de passionnés avec sept à huit millions d’interactions sociales par mois sur le site.

 

Comment parvenez-vous à garantir aux acheteurs l’authenticité des pièces du catalogue ?

100 % des produits vendus sur la plate-forme passent par nos locaux pour y être contrôlés et authentifiés. Pour ce faire, nous disposons d’une équipe d’une cinquantaine de personnes, à Paris pour l’Europe et à New York pour le continent américain, qui vérifient les produits, s’assurent que leur état est conforme au descriptif établi par le vendeur et, in fine les authentifient. Ce sont des personnes que nous avons recrutées pour leur expertise acquise dans l’univers du luxe ou que nous avons formées spécifiquement. Bien sûr, cette intervention humaine engendre des coûts mais c’est un bénéfice fort à la fois pour l’acheteur et pour le vendeur. De plus, l’authentification est un moyen efficace de lutter contre la contrefaçon, une cause primordiale. Nous sommes d’ailleurs membre de la charte anti-contrefaçon.

 

Quel est le profil-type des membres de Vestiaire Collective ?

Aujourd’hui, 85 % de nos membres sont des femmes. Même si la partie hommes se développe, nous avons gardé un positionnement historique très féminin. Notre cœur de cible est la vraie passionnée de mode, surconsommatrice, qui achète et vend afin de renouveler son vestiaire. Nous avons aussi beaucoup de clientes qui veulent individualiser leur look. Elles pratiquent beaucoup le mix and match en associant pièces de luxe et marques plus accessibles (Sandro, Maje, Zadig & Voltaire par exemple). Enfin, nous comptons aussi parmi nos membres des primo-accédant du luxe qui profitent des réductions permises par la vente d’occasion (entre 30 % et 70 % de réduction en moyenne sur notre marketplace) ou des opportunistes qui veulent vider leur garde-robe ou tombent sur une aubaine.

 

« Il nous paraît primordial qu’il y ait des réussites hexagonales qui ne soient pas que des succès en France ou en Europe. »

Vous venez de lever 58 millions d’euros. Que va vous permettre ce financement ?

À l’occasion de notre dernier tour de table, nous avons accueilli un nouvel investisseur avisé et expert de notre secteur, Vitruvian Partners. D’autres partenaires historiques, Idinvest et Eurazeo en tête, nous ont également renouvelé leur confiance. Grâce aux sommes levées, nous comptons accélérer notre développement aux États-Unis où le marché est équivalent à celui du Vieux Continent. À ce titre, nous nous situons dans la droite lignée de notre dernière levée de fonds de septembre 2015. Nous allons continuer à investir, notamment en marketing pour faire connaître la marque outre-Atlantique et activer notre recrutement de vendeurs aux États-Unis.  Pour l’instant nous alimentons beaucoup la croissance américaine avec des produits européens. À terme, nous risquerions d’assécher notre croissance en Europe si tous les produits proposés par les européens partent aux États-Unis ! Autre projet d’envergure, la conquête du marché asiatique, aussi attractif que les États-Unis il y a quelques années. Nous allons donc y envoyer des équipes pour nous approprier les sujets logistiques, monétaires ou linguistiques. Une chose est sûre : notre modèle restera le même. Nous allons d’abord nous concentrer sur Hongkong, Singapour et l’Australie, qui sont des zones culturellement proches et où les moyens logistiques sont déjà présents. Dès septembre, une équipe locale sera opérationnelle. Puis d’autres suivront rapidement en 2018.

 

La croissance externe n’est donc pas votre priorité …

On ne s’interdit rien ! Nous avons la chance d’avoir une croissance organique forte et nous avons levé des fonds pour la financer. Bien sûr, si une opportunité de rachat se présentait, correspondant exactement à notre modèle, nous aurions tort de nous priver. Mais ce n’est pas notre sujet numéro 1. La croissance de notre entreprise est de l’ordre de 60 % par an au cours des dernières années. Nous n’avons donc pas un besoin immédiat d’absorber d’autres entités. Notre vrai objectif aujourd’hui est de devenir la première plate-forme mondiale.

 

Envisagez-vous, à terme, une introduction en bourse ?

Ce n’est pour le moment pas d’actualité. Nous sommes encore en phase d’investissement assumée. Notre activité commence à arriver à maturité en France et en Europe où nous sommes rentables. Nous faisons le pari d’aller chercher de la croissance et de réussir notre internationalisation. C’est une décision prise en concertation avec nos investisseurs. Lorsque nous aurons plusieurs régions arrivées à maturité, nous aurons sans doute un profil intéressant pour l’IPO. Nous verrons alors si nous préférons vivre notre vie de manière autonome ou entrer en Bourse.  

 

« Nous allons créer une centaine d’emplois en France »

Votre nationalité française fait partie intégrante de la marque. Avez-vous des projets dans l’Hexagone ?

Absolument ! Notre atelier parisien où nous procédons à l’authentification des produits est full capacity. Il nous sera impossible d’absorber notre croissance sans ouvrir un nouvel entrepôt et nous avons choisi de l’inaugurer cette année en province. Nous devrions ainsi créer une centaine d’emplois. Nous avons un pays très efficace en matière de transports. De plus, nous cherchons une main d’œuvre très qualifiée dans le secteur de la mode et du luxe et nous considérons que nous avons toutes les chances de la trouver en France. La « marque France » est un argument de poids dans notre secteur. Enfin, fort de notre savoir-faire assez unique en matière d’authentification et de détection des contrefaçons, nous avons lancé un académie interne pour former nos propres talents.


 

Propos recueillis par Sybille Vié et Margaux Savarit-Cornali

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