Après avoir passé trente-cinq années dans l’univers pharmaceutique, Marc de Garidel s’impose comme l’un des dirigeants français les plus reconnus de ce secteur. Aujourd’hui président d’Ipsen et du G5 Santé, il milite pour doter la France d’un cadre réglementaire et fiscal propice au développement des industries de santé. Ses projets concrets de réforme sont autant de pistes pour le monde politique.

Décideurs. Qu’est-ce que le G5 Santé ?

Marc de Garidel. Depuis 2004, le G5 est un think tank portant la voix des industriels français de santé en vue de la modernisation du système de soins. Les membres fondateurs ont été rejoints par d’autres entreprises françaises de santé au rayonnement international. Notre poids dans les débats est issu de l’engagement direct des présidents et directeurs généraux de ces grands groupes. La vision macroéconomique des laboratoires pharmaceutiques permet d’établir des comparaisons transfrontalières venant nourrir nos réflexions et nos propositions concrètes. Pour vous donner quelques chiffres, les huit sociétés membres du G5 génèrent un chiffre d’affaires cumulé de 47 milliards d’euros à travers le monde et dépensent 6,7 milliards d’euros dans leur R&D. Par ailleurs, l’excédent de la balance commerciale des membres de l’association atteint 9 milliards d’euros, soit près de 10 % des exportations nationales.

 

Quel regard portez-vous sur la compétitivité française en matière d’innovation pharmaceutique ?

Malgré des points forts évidents comme l’excellence des CHU et du tissu académique, la France a perdu de sa superbe. Ce savoir-faire universitaire est rarement converti en projet industriel dans notre pays, ce qui pénalise notre R & D au global. Dans le domaine des essais cliniques, d’autres problèmes emblématiques surgissent. Les obstacles administratifs, à l’instar des nombreuses autorisations à obtenir auprès des hôpitaux et des comités d’éthique, ralentissent la mise en place de ces essais indispensables avant toute production à grande échelle. Entre un à trois mois sont nécessaires en Belgique pour lancer de tels projets. En France, les démarches peuvent durer jusqu’à douze mois. Pour un industriel, ce gain de temps est déterminant tant vis-à-vis de ses concurrents que pour les patients. Le Comité stratégique de filière des industries et technologies de Santé et le ministère de la Santé ont imaginé un contrat clair et unique pour harmoniser les demandes des hôpitaux, hôtes de ces essais, et accélérer le processus. D’autre part, les transferts de propriété intellectuelle restent un cassetête dans l’Hexagone. Jusqu’à présent, si un industriel souhaitait acquérir un brevet, il devait trouver un accord avec les nombreux propriétaires potentiels : chercheurs, hôpitaux, Inserm… Un système de mandataire unique a été instauré et devrait permettre de simplifier cette situation. Mais le niveau de complexité reste tel que certains laboratoires pressés peuvent se décourager. Les Satt (sociétés d’accélération de transferts de technologies) représentent une avancée même si leurs performances régionales demeurent inégales. Les échanges entre le public et le privé ne sont ainsi pas toujours facilités.
 

Du côté des laboratoires, nous militons pour des prix responsables

 

Les politiques actuelles de fixation du prix des médicaments vous donnent-elles satisfaction ?

L’accès au marché des innovations est un autre point essentiel lorsque nous évoquons la compétitivité de la France. Beaucoup de critiques sont émises à l’égard de l’introduction de médicaments à des prix élevés. Du côté du G5 Santé, nous militons pour des prix responsables. Il y a des explications rationnelles et économiques à la politique tarifaire menée actuellement et le système dans son ensemble peut tout à fait l’absorber. Il est urgent d’affiner les critères des autorités pour disposer d’un cadre objectif d’évaluation. Cela passe par une meilleure analyse de la valeur thérapeutique du produit, pathologie par pathologie. La prise en compte de la limitation des effets secondaires ou celle de la valeur économique globale d’un médicament peuvent être décisives ici. De nombreux frais d’hospitalisation peuvent ainsi être évités grâce à un traitement innovant, et cela doit se refléter dans les calculs des autorités. Si ces indicateurs sont élevés, les prix suivront logiquement.

 

Quelles solutions préconisez-vous pour attirer les investissements de santé en France ?

Le gouvernement de Matteo Renzi a mis en place deux mesures phares pour favoriser les activités des industriels de santé sur le sol italien. Si la fabrication des traitements est faite en Italie, alors les autorités s’engagent à limiter le temps d’évaluation du médicament à moins de six mois. De plus, cette activité de façonnage locale est encouragée par la promesse d’un prix de remboursement premium. Résultat : le niveau des investissements s’est largement développé dans ce pays. En France, des incitations comparables avaient été mises en place dans les années 1980-1990 et peuvent très bien être réinstaurées. Autre domaine où des mesures simples pourraient engendrer des résultats concrets : la fiscalité. Les taux de fiscalisation de l’industrie pharmaceutique en France sont les plus élevés d’Europe. Découragés par des prélèvements qui dépassent 40 % du chiffre d’affaires entre l’impôt sur les sociétés et les différentes taxes sectorielles, les laboratoires mondiaux vont voir ailleurs. Enfin, les plans d’action sur une année sont à proscrire. La gouvernance de l’univers devrait s’appuyer sur une vision à cinq ans, notamment pour favoriser une mesure plus précise de l’impact des médicaments sur la société.

 

Vos propositions ne concernent-elles que le marché français ?

Nous nous exprimons en faveur de la France et des industriels évoluant sur le marché français et ayant des activités à travers le monde. Une de nos idées concerne ainsi les différences entre le prix brut et le prix net pour soutenir la valeur des produits à l’export. Il faut savoir que les prix pratiqués en France servent d’échelon de référence dans trente-cinq pays. Ainsi, lorsqu’un médicament remboursé 100 est remboursé 95 à la suite d’une décision des autorités, les prix dans les autres pays diminuent automatiquement. Les laboratoires proposent de maintenir le niveau de remboursement à 100 et de reverser 5 par la suite pour éviter les effets pervers à l’exportation.

 

Nous affirmons qu’il est possible d’accélérer certains processus sans pour autant engendrer de risques pour la santé des patients. 

 

La réglementation est aussi dans votre viseur. La simplification des normes n’implique-t-elle pas un risque pour les patients ?

Notre vocation est de mettre à disposition des patients les médicaments les plus performants. Cela implique d’être conformes avec les plus hauts niveaux de qualité et de sécurité, et nous ne transigeons pas sur ces critères. Nous affirmons qu’il est possible d’accélérer certains processus sans pour autant engendrer de risques pour la santé des patients. Ainsi, par exemple, sur les délais pour obtenir une autorisation de mise sur le marché, quand les Etats-Unis mettent cinq mois, huit mois sont nécessaires en Allemagne et au Royaume-Uni, et dix-huit mois en France ; il semble que l’ANSM (ndlr : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) soit à court de ressources pour effectuer ses vérifications. Sans doute une redistribution plus pertinente des taxes sectorielles serait à envisager.  De plus, le strict encadrement des liens d’intérêts, trop vite perçus comme des conflits d’intérêts, empêche les spécialistes des secteurs dans lesquels nous intervenons de participer à ces vérifications. Tout est à revoir pour gagner en efficacité.

 

Comment évaluez-vous les discours politiques en matière de santé en cette année d’élections présidentielles ?

Au sein du G5 Santé, nous sommes régulièrement en contact avec des parlementaires et les candidats à la prochaine élection présidentielle pour leur fournir une information de premier ordre sur le secteur pharmaceutique. De l’avis général, le sujet avait été très peu abordé lors de la campagne précédente. Cette fois-ci, c’est une petite phrase de François Fillon qui a lancé les discussions sur les politiques de santé. Enfin, ces questions sont abordées au plus haut niveau. Les industriels de santé cherchent à nourrir ces débats avec des propositions pragmatiques, tenant compte de l’ensemble des composantes, notamment en termes de compétitivité du territoire ou d’innovation. De tous les bords politiques, les candidats expriment un fort besoin en informations et réflexions d’experts pour façonner leur programme, mais aussi en éléments de langage pour convaincre l’opinion publique. La création d’un verbatim servant la prise de conscience générale est notre prochaine étape.

 

Êtes-vous confiant dans l’avenir des laboratoires pharmaceutiques français ?

Les groupes pharmaceutiques français sont en profonde mutation. Ils sont tous animés d’un désir d’innovation manifeste. L’image tenace de vieux acteurs empoussiérés est battue en brèche. Si l’on suit la logique darwinienne, ce n’est pas le plus intelligent ou le plus fort qui survit, mais bien celui qui démontre la plus grande capacité d’adaptation. Les industriels français sont bien positionnés et ont adopté les bonnes stratégies pour aller de l’avant

 

Propos recueillis par @Thomas Bastin

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