Pour Thomson, devenu Technicolor, la restructuration est réussie. Obligée de renégocier sa dette, la société aura passé quatre mois à discuter avec ses créancie, sa obtenir de résultats concrets. C'est sa certitude qu'elle se lance alo da une procédure de sauvegarde, dont le succès n'a eu d'égal que la rapidité.

Pour Thomson, devenu Technicolor, la restructuration est réussie. Obligée de renégocier sa dette, la société aura passé quatre mois à discuter avec ses créanciers, sans obtenir de résultats concrets. C'est sans certitude qu'elle se lance alors dans une procédure de sauvegarde, dont le succès n'a eu d'égal que la rapidité.

 

Petit écran deviendra grand pourvu que ses créanciers lui prêtent vie. Ainsi pourrait s’ouvrir la chronique de Technicolor, ex-Thomson, qui a connu en un peu moins d’un an une restructuration profonde de sa dette, soutenue par une clarification de son activité.

Thomson dans l’impasse

C’est une mauvaise surprise qui attend Frédéric Rose et Stéphane Rougeot lorsqu’ils prennent leurs nouvelles fonctions respectives de PDG et DAF de Thomson à l’automne 2008. À l’époque, le problème qu’allait très vite poser la dette de la société n’était pas totalement visible. En effet, au 30 juin 2008, la dette financière nette s’élevait à 1,3 milliard d’euros, un montant acceptable au regard du niveau d’activité. En revanche, les managers savaient déjà que Thomson risquait de déroger aux covenants, c’est-à-dire les clauses de respect de ratios financiers, liées à sa dette privée obligataire. Pour ne pas se retrouver en situation de devoir rembourser l’intégralité de ce crédit de façon anticipée, l’état-major précédent avait entamé une renégociation de ces conditions. Or l’analyse approfondie que mènent les nouveaux responsables au moment de leur arrivée fait apparaître que la société ne pourra pas assumer en parallèle les paiements anticipés que supposeraient ces négociations et les dettes courantes liées à son activité. Au 31 décembre 2008, Thomson est dans l’impasse. Trop de dettes, pas assez de liquidités : la société tire 1,7 milliard d’euros sur son crédit syndiqué, portant sa dette financière brute à 2,9 milliards d’euros, contre 1,8 un an plus tôt, pour une trésorerie de 770 millions d’euros. Le management va devoir renégocier sa dette intégralement, mais pour cela il doit proposer un projet crédible, qu’il s’agisse de l’activité de la société ou de la structure de capital associée.

Mais que fait Thomson ?

Bien malin qui pouvait encore dire à cette époque quel était le métier de Thomson. En une dizaine d’années, la société a profondément évolué : cession de la division de production d’électroménager, nombreuses acquisitions dans les services aux studios de cinéma. Alors que la perception de Thomson par le public et le monde économique se brouille, les acquisitions surpayées ne génèrent ni l’activité ni les flux financiers attendus. Pour être en mesure de faire adhérer les créanciers et les actionnaires à une vision d’avenir réaliste, le management doit d’abord redéfinir ses priorités opérationnelles. Débute alors une analyse des activités, de leur valeur ajoutée pour les clients ainsi que de leur niveau de marge respectif, au terme de laquelle se dessinent les axes prioritaires. L’accompagnement des studios dans toutes les étapes de production de leurs films (l’« entertainment services ») restera le coeur de Thomson. Il s’articule autour de trois segments : la préparation (production d’effets spéciaux, post-production) dont ressort le master du film, c’est-à-dire la première version finale. Puis vient la partie consacrée au film lui-même : réplication des bobines et transmission aux salles de cinéma. Enfin Thomson accompagne le studio dans le passage au DVD, en répliquant les disques et en assurant la distribution (les DVD restent cependant la propriété des studios). Dans ce domaine, l’entreprise possède une dizaine de clients, parmi lesquels les prestigieux Paramount, Disney ou Warner. Engagé par des contrats de trois à quatre ans, le changement de prestataire représente pour eux une décision importante, ce qui crée de fait une sécurité pour la société de services. De plus, ces clients ont exprimé une volonté de ne pas abandonner Thomson, leur partenaire depuis de longues années via sa filiale Technicolor, dont elles estimaient les services excellents. Cette confiance a été un élément de motivation supplémentaire pour le management dans ses efforts pour trouver une solution rapide. En parallèle de cette activité centrale, Thomson conserve également deux autres départements qui ne présentaient pas de difficulté opérationnelle : la fabrication de décodeurs pour les fournisseurs de services satellite, câble et télévision, ainsi que son département dédié aux brevets.

Trouver un niveau de dette adapte

Afin de soutenir la nouvelle organi- sation opérationnelle, Thomson doit retrouver un niveau de dette adapté à ses capacités de remboursement. En effet, le poids des créances est devenu tel qu’il menace la continuité d’exploitation. Vincent Catherine, directeur exécutif chez Goldman Sachs, la banque conseil de Thomson, constate : « Nous ne nous trouvions plus dans une logique simple dans laquelle il aurait suffi de colmater les brèches. Le problème financier du mur de la dette s’était transformé en un problème potentiel quant à la continuité d’exploitation. » La société va devoir faire face, à échéance 2012, à un mur de refinancement qu’elle ne pourra pas surmonter sans procéder à une restructuration.

Dès janvier 2009 le nouveau management, appuyé par ses conseils financiers, examine les options. Il apparaît rapidement qu’il faut envisager une diminution pure et simple de la dette qui se traduira par des abandons de créances. En contrepartie et pour intéresser les créanciers au redressement de Thomson, les conseils proposent la conversion d’une partie de la dette en actions.

Faire front et négocier ensemble

Débute alors une période de négociation de quatre mois entre la société et les créanciers. « Une vision claire du plan d’affaires de la société et un calibrage de la dette et des nouveaux instruments, reposant sur ce plan d’affaires, sont des conditions sine qua non d’une restructuration réussie », explique Laurent Rossetti, associé gérant, responsable européen du groupe restructuring de Lazard.

La dette financière brute senior de Thomson à décembre 2008 s’élève à 2,8 milliards d’euros, dont 1,7 milliard de crédits syndiqué détenu par un pool de banques et 1,1 milliard de dette obligataire, détenue par des investisseurs essentiellement américains. Pour aboutir à une proposition acceptable par tous, il faut créer des interactions entre les créanciers tout en leur redonnant confiance dans le projet de Thomson. Selon Vincent Catherine, « il fallait trouver pour chaque type de créanciers l’interlocuteur qui pourrait les rassurer et mener le travail de pédagogie nécessaire pour leur faire accepter le plan. » Alan Mason, associé coresponsable du département de restructuring de Freshfields, les avocats conseils des banquiers syndiqués, ajoute que « cela était particulièrement délicat pour les créanciers étrangers qui considèrent que le droit français des

procédures collectives est favorable aux débiteurs ». Finalement, les intérêts alignés des créanciers leur permettent de faire front et de négocier ensemble avec la société.

Dans le cadre des discussions, trois éléments s’avèrent essentiels. En premier lieu, il faut définir le montant de dette qui sera converti en capi- tal, autrement dit le « debt to equity swap », ainsi que la forme juridique que prendra cette participation au capital. La conversion doit être suf- fisamment importante pour donner de l’oxygène à la société. Elle doit aussi rester acceptable à la fois pour les actionnaires, qui voient leur part, dans le capital, diluée par l’émission de nouvelles actions, et pour les créanciers, qui consentent à cette conversion faute de mieux. Le second sujet de négociation se concentre autour des conditions de la nouvelle dette. En effet, si une partie de la dette demeure au passif de Thomson, il est entendu qu’elle doit refléter les conditions nouvelles de marché. Enfin, le niveau de liquidité que conservera Thomson constitue le troisième point de réflexion. Les créanciers considèrent que la trésorerie extériorisée par les états financiers leur revient, tandis que le management justifie le maintien d’un certain niveau de liquidité par les variations erratiques du besoin en fonds de roulement, lié à l’activité. Des alternatives au debt to equity swap sont également envisagées, parmi lesquelles la vente de la société. Du point de vue des créanciers, si la société a une valeur de marché au moins égale au montant de sa dette, cette solution leur éviterait de prendre d'avantage de risques.Toutefois, la conjoncture défavorable et la mauvaise santé financière des acheteurs potentiels rendent cette issue difficile à mettre en œuvre. 

Dresser un état des lieux financier

Afin de faciliter les négociations et de donner aux créanciers le moyen d’avoir un point de vue objectif sur les besoins de Thomson, le management mandate le cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers (PwC) pour établir une Independant Business Review. Ce document exhaustif, destiné aux créanciers, dresse un état des lieux financier ainsi qu’une analyse du business plan de Thomson. L’équipe de PwC, après avoir rendu ses conclusions, répond également aux questions des créanciers dans le cadre de discussions auxquelles le management de Thomson ne participe pas. L’intervention d’un expert indépendant répond au besoin de donner de la crédibilité à la société. Le plan de restructuration qui ressort de ces négociations aboutit finalement à une proposition de réduction de 45 % de la dette financière brute senior, qui s’élèverait post-restructuration à 1,55 milliard d’euros. Cette diminution de la dette prendrait deux formes. D’une part la conversion en actions nouvelles avec un droit préférentiel de souscription (à hauteur de 347 millions d’euros).

Ces actions seraient émises lors d’une augmentation de capital. D’autre part la transformation en obligations remboursables en actions (à hauteur de 638 millions d’euros) et d’obligations liées aux produits de cessions d’actifs (251 millions d’euros). Thomson conserverait quant à elle un niveau de liquidité de 400 millions d’euros pour répondre aux besoins opérationnels.

Le rassemblement des créanciers

Approuvé par 55 % des créanciers bancaires et 60 % des obligataires, le plan ne recueille pas l’unanimité nécessaire à son adoption. Il n’atteint pas non plus la majorité des deux tiers qui permettrait de demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde avec la certitude que le plan sera voté. En effet, une partie des créanciers a couvert le risque de défaillance de la société par des credit default swap (CDS). Grâce à ces contrats de protection financière, ils ont transféré le risque et ne portent plus la créance qu’au sens juridique du terme. «Il s’agissait de la première rencontre entre le monde des CDS et le monde de la restructuration, et on s’est rendu compte que la cohabitation n’était pas possible. La restructuration demande une rapidité d’action importante que les CDS empêchent », résume Alan Mason. Non seulement les créanciers détenteurs de CDS ne se prononcent pas sur le plan de restructuration, mais au cours de la période de négociation, les CDS continuent à être échangés et les porteurs du risque final évoluent en conséquence. Arnaud Pérès, avocat associé chez Davis Polk, qui a accompagné Thomson tout au long de sa restructuration, explique le problème auquel est confrontée la société : « Les créances qui avaient fait l’objet de CDS continuaient de changer de mains. Les marchés financiers continuaient leur routine, comme déconnectés de la restructuration de la société. » Après quatre mois de négociations, c’est sans certitude, mais sans autre solution possible, que Thomson se présente devant le tribunal de commerce de Nanterre pour demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde.

Thomson est mort, vive Technicolor

L’entrée en sauvegarde marque une accélération dans la restructuration de la société. Les créanciers, divisés en trois comités (fournisseurs, banques syndiquées, obligataires), sont convoqués en décembre 2009 et forcés de se prononcer sur un plan de restructuration de la dette, en tous points conforme à celui proposé en juillet de l’année précédente. Successivement approuvé par les trois comités, le plan recueille notamment 100 % des votes des banques syndiquées et 98 % des obligataires. Ce plébiscite signifie que même les porteurs de CDS présents se sont prononcés favorablement à la restructuration proposée.

Il ne reste plus qu’à réunir en janvier 2010 une assemblée générale extraordinaire afin de soumettre le plan à l’approbation des actionnaires. Approbation obtenue sans difficulté, de même que le changement de nom de la société. Pour souligner le caractère désormais central des services aux studios, Thomson choisit de prendre le nom de Technicolor, sa filiale américaine dont c’est l’activité historique. Un nom peu connu du grand public en France, mais emblématique dans le monde du cinéma aux États-Unis. C’est donc avec une nouvelle identité et un passif réduit de 45 % que Technicolor sort de sauvegarde en février 2010, quelques semaines à peine après y être entré. Les négociations conduites en amont, et le soutien des créanciers ainsi que des clients, ont été essentielles pour réduire au maximum la durée de la procédure et remettre la société en position de se concentrer à nouveau sur son activité.

Un point noir demeure pourtant: dans ce succès général, une des teurs a fait l’objet d’un long débat, qui s’est conclu par la décision de les faire voter au sein du comité obligataire à hauteur du montant de la créance qu’ils allaient perdre. Or cette créance a été estimée, non pas à la valeur nominale des titres (500 millions d’euros), puisque ces titres n’avaient pas vocation à être remboursés, mais à la hauteur des intérêts futurs que devaient rapporter les TSS. Des intérêts évalués par un expert à 6 % de la valeur nominale. Ce traitement, juste du point de vue du bon sens, reste juridiquement contestable. Et contesté, puisque les porteurs de TSS ont fait appel et demandent l’annulation de la sauvegarde. Affaire à suivre.

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