Yves Boissonnat souffle à l'oreille des patrons de cabinets d'avocats
Yves Boissonnat est, depuis le début de la crise sanitaire, un homme contrarié. Ce chasseur de têtes n’exerce, en effet, plus son métier comme avant. Il n’est pas le seul dans ce cas, c’est certain. Mais pour celui qui a fondé son propre cabinet en 2012 et qui, depuis, travaille en solo, ne plus communiquer comme il a l’habitude de le faire se révèle un vrai crève-cœur. Attention cependant, il ne faut pas croire qu’en temps normal cet homme court les cocktails et les soirées mondaines. Ses méthodes à lui consistent plutôt à organiser des discussions privées et des rendez-vous confidentiels. Et, pour l’essentiel de son travail, à entretenir les liens de proximité qu’il a tissés avec les grands patrons des cabinets d’avocats afin de comprendre la façon dont ils gèrent leur capital humain. Attaché au secret, Yves Boissonnat ne donne aucun nom, jamais. Pourtant, le sien illustre à la perfection la différence entre le recrutement middle management et l’executive search : là où le premier s’effectue principalement par la diffusion d’annonces, le second exige une démarche personnalisée, la recherche des hauts profils nécessitant une approche directe.
Jeu de chaises musicales
Si, pendant un temps, Yves Boissonnat a travaillé aussi bien pour des cabinets d’avocats que pour des entreprises souhaitant identifier leurs directeurs juridiques, il se concentre aujourd’hui sur les conseils : "Je me suis rendu compte qu’il était plus cohérent de faire de la chasse et du coaching pour un seul type de clientèle. Et ce, d’autant plus que le frottement entre les deux populations n’est pas aussi fréquent qu’on veut bien le laisser croire", commente-t-il. Ne réalisant plus que rarement des recrutements de directeurs juridiques, ce Parisien de naissance et sudiste de cœur porte un regard aiguisé sur les avocats : "Le monde qui nous entoure a montré qu’il était fait de mouvements totalement imprévisibles. Dans ce contexte, il est important de comprendre qu’il ne suffit plus aujourd’hui d’être un associé moyen." Avant de poursuivre son idée, ne craignant pas de mettre le doigt sur l’un des principaux enjeux de la profession : "Les associés les plus demandés sont ceux qui savent la jouer collectif tout en ayant une forte personnalité." Et le job d’Yves Boissonnat est de détecter, de sonder et de convaincre ce type d’associé. Un job qui demande plus de pugnacité qu’auparavant, puisque, du constat du chasseur de têtes, les départs d’associés observés récemment trouvent souvent leur source avant le déclenchement de la crise sanitaire, les dysfonctionnements individuels n’étant simplement plus tenables en période de vaches maigres. La fragilité des cabinets de conseil a accentué le niveau de pression financière sur les associés auxquels on a demandé, plus que jamais, de donner le meilleur d’eux-mêmes tout en faisant preuve de solidarité. "Pour les managing partners, il s’agit d’un exercice très difficile qu’il faut résoudre grâce au management, à la rémunération et à l’accompagnement des jeunes associés", analyse Yves Boissonnat.
"Les associés les plus demandés sont ceux qui savent la jouer collectif tout en ayant une forte personnalité"
Quant aux stratégies de positionnement, celui qui concède ne percevoir le marché qu’au travers de ses clients constate que les associés dirigeants sont souvent tiraillés entre la nécessité de maintenir l’effectif historique et les besoins de développement vers de nouvelles compétences. Ce choix de positionnement relève de la détermination d’une stratégie qui ne fait parfois pas l’unanimité au sein de la même structure. Depuis 2018, les cabinets montrent un fort intérêt pour toutes les sortes de contentieux : litiges commerciaux, droit pénal des affaires, arbitrage et antitrust. Le constat fait consensus : les activités transactionnelles resteront en retrait en 2021, seuls le restructuring et le private equity feront l’objet de recrutements très ciblés. Finalement, le mercato des avocats associés ressemble à un jeu de chaises musicales, quelques enseignes majeures étant en compétition pour attirer les mêmes profils : "Le marché français est mature. En dehors de rares événements, il n’y a plus d’ouverture de bureaux des firmes anglo-saxonnes et les grandes structures sont toutes bien équipées. Le paysage des cabinets d’avocats en France va continuer à s’autoréguler, seules les créations de boutiques continuent d’être en nombre."
"Un mur contre lequel le client fait des balles"
Yves Boissonnat en sait quelque chose, lui qui conseille les grands cabinets d’avocats en France, principalement les étrangers du Magic et du Silver Circle, et les français haut de gamme, positionnés sur des activités cross border. La différence de culture entre ces deux types de clientèles ? La gouvernance. Yves Boissonnat souffle aussi bien à l’oreille d’un patron français qui décide à lui tout seul pour l’ensemble de ses associés que du managing partner local souhaitant s’intégrer dans une stratégie globale. Grâce à son influence auprès de cette population très select, il agit sur une tranche importante du marché des avocats. Le sexagénaire conseille en amont ses interlocuteurs qui le sollicitent de façon régulière sur sa vision du marché. "Cela résume parfois mon rôle à celui d’un mur contre lequel mon client fait des balles", résume le fondateur de Boissonnat Partners. "Ces personnes sont très occupées, elles passent le principal de leur temps avec leurs associés et sur leurs dossiers. Elles ont besoin d’échanger avec quelqu’un qui a une vue à la fois précise et globale du marché et de leurs concurrents", explique celui qui développe souvent des idées différentes de celles du partnership, étant délesté de tout intérêt partisan. Il écoute, accompagne, mais n’indique pas la marche à suivre. Cette activité est extrêmement sensible, et ce coach certifié par HEC s’impose une rigueur et une éthique très strictes. "Je ne peux pas faire du recrutement et du coaching dans le même cabinet. J’ai une conception protestante de mon métier. Par exemple, je ne replace jamais un avocat que j’ai déjà placé." Voilà qui est clair.
"Mon rôle se résume parfois à celui d’un mur contre lequel mon client fait des balles"
En revanche, cette "conception protestante" le pousse à travailler parfois pour le monde des fondations auquel cet amateur de musique baroque allemande du XVIIIe siècle propose un accompagnement lors de la recherche de dirigeants. Cofondateur du fil rouge de l’Ordre de Saint-Jean, cette association qui accompagne des jeunes issus de milieux défavorisés dans leurs études et vers l’emploi grâce à un programme de mentoring, Yves Boissonnat s’est engagé aussi dans le monde du handicap notamment à travers son soutien à la fondation John Bost, une institution sanitaire et médico-sociale protestante accompagnant et soignant des personnes souffrant de troubles psychiques ou de handicap physique et/ou mental.
Un positionnement dessiné aux traits fins
Yves Boissonnat a construit ses propres méthodes de travail au fil de ses expériences. Car avant de monter sa propre enseigne, celui qui a grandi dans une famille d’ingénieurs et de professionnels libéraux a exercé en banque tout d’abord (il entre en 1982 chez celle qui deviendra HSBC, la Banque Hervet) avant de partir pour Londres où il est embauché chez Michael Page, le cabinet de recrutement international pour lequel il ouvre, dès 1986, le bureau de Paris depuis La City. Ce diplômé de Paris X et de Science Po importe alors une activité qui n’existait pas en France, en débutant par les métiers de la banque et de la finance, en binôme avec Charles-Henri Dumon, l’actuel fondateur et dirigeant de Morgan Philips. Ensemble, ils montent une équipe parisienne qui atteint une cinquantaine de personnes. Entré au capital de Michael Page, il y crée des divisions consacrées aux métiers de la finance, de l’IT, au middle management… et au juridique. Déjà l’émergence d’une stratégie de recrutement ciblée qu’il reproduira en entrant en 1992 chez Ray & Berndtson où il exerce en tant qu’associé durant dix-huit ans. L’executive search étant dorénavant son activité principale, il ne lui faut qu’un an chez Boyden pour se lancer en solo en 2012. "Là où les entreprises sont très attachées aux grandes enseignes du recrutement, les avocats sont quant à eux intéressés par les individus. Mon envie d’être indépendant comme mes clients correspondait à leur manière d’agir." Surtout, à 54 ans, l’homme peut alors se fier à son réseau, son éthique et à son expérience de différents métiers, notamment celui de la banque d’affaires, très utiles pour cibler les professions du droit.
Aujourd’hui, Yves Boissonnat se concentre uniquement sur le recrutement d’équipes et le coaching de dirigeants de cabinets d’avocats d’affaires présents en France. Même s’il lui arrive d’aller chercher à Bruxelles un spécialiste de l’antitrust ou à Londres un expert du private equity ou des marchés de capitaux. Le plus important est de rester dans une relation de proximité. "Je ne suis pas McKinsey", sourit-il, modestement. Peut-être sa plus grande satisfaction.