Le confinement du printemps 2020 n'a pas freiné l'activité des équipes contentieuses du bureau parisien de Mayer Brown. Émilie Vasseur, José Caicedo et Jean-Maxime Blutel reviennent sur ce début d'année agitée et sur les grandes tendances qu'ils ont observées dans leurs domaines respectifs.

Décideurs. Comment s’est passée cette première année au sein de Mayer Brown ? A-t-elle été à la hauteur de vos attentes ?

Émilie Vasseur. Vous me parlez d’une année mais j’ai l’impression d’avoir rejoint le cabinet Mayer Brown depuis bien plus longtemps, sans doute parce que je m’y sens déjà très intégrée et que la période a été dense. La pandémie de Covid-19 n’a en effet interrompu ni l’activité du département contentieux, ni les échanges avec les autres bureaux. Elle les a même, d’une certaine manière, renforcés, en favorisant les approches comparées et réflexions multi-juridictionnelles. Le bilan de cette première année chez Mayer Brown est donc très positif, avec une ouverture sur les contentieux transfrontaliers particulièrement exaltante.

Avec la crise sanitaire, est-il possible de se désengager totalement de son contrat en invoquant la force majeure ou encore d’obtenir la renégociation en invoquant l’existence d’un cas d’imprévision ?

E. V. Dans certains cas, la crise sanitaire a caractérisé une situation de force majeure suspendant l’exécution de ses obligations par le débiteur, mais dans de nombreuses autres situations les parties ont dû se tourner vers d’autres mécanismes, contractuels ou judiciaires, pour atténuer les effets de la crise sur leur activité. Nos clients ont majoritairement recherché au cours de cette période des solutions amiables à leurs difficultés, car ils avaient un besoin urgent de trouver des solutions et souhaitaient éviter l’aléa de procédures judiciaires conduites parfois sans audience et sans publicité.

À quoi doivent s’attendre les entreprises françaises concernant l’application des règles antitrust en période de Covid-19 ?

Jean-Maxime Blutel. Lorsque l’épidémie a atteint l’Europe, la Commission européenne comme l’Autorité française ont annoncé publiquement qu’elles pourraient temporairement faire preuve de plus de flexibilité s’agissant de coopérations dans certains secteurs considérés comme essentiels, parmi lesquels celui de la santé. Les autorités européennes ont en effet vite reconnu que certaines formes de coopération pouvaient s’avérer nécessaires dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, par exemple pour prévenir les pénuries, notamment de masques, de médicaments ou de produits de première nécessité. Elles continuent également à donner des orientations informelles voire du confort aux entreprises concernant leurs projets de coopérations pour faire face plus largement aux conséquences de cette crise. Pour autant, nous n’attendons pas de clémence particulière de leur part s’agissant de l’appréciation d’ententes qui émergeraient dans ce contexte de crise et les niveaux d’amende prononcés depuis ne donnent pas le sentiment d’une atténuation des sanctions, que ce soit à Paris ou à Bruxelles.

"Le défi est d'exploiter les nouvelles technologies plus efficacement sans rien perdre de l'humanité de la justice"

Quels sont les défis actuellement en matière de concurrence ?

J.-M. B. La période apparaît propice à la construction ou à la réactivation de projets concernant notamment des marchés relativement matures et concentrés, par exemple dans certaines industries de réseaux. Ces projets s’intègrent dans des débats anciens mais récemment renouvelés, par exemple le nombre optimal d’acteurs qu’il convient d’avoir sur un marché donné ou la question de savoir si la garantie d’un prix bas au consommateur doit demeurer le seul paradigme à l’heure où l’on cherche à renforcer la compétitivité des entreprises françaises et européennes sur les marchés mondiaux. Des questions du même ordre peuvent également se poser sur certains marchés ultra-marins regroupant peu d’acteurs, auxquelles peuvent parfois s’ajouter des problématiques de vie chère, qui imposent aux autorités de faire preuve de pragmatisme, voire de créativité.

Et ceux de votre métier en général ?

E. V. L’un des défis de notre métier, mis en lumière à l’occasion de l’épidémie de Covid-19, consiste à moderniser nos pratiques sans porter atteinte à la justice. Pendant le confinement, nous avons expérimenté, avec plus ou moins de félicité, des audiences dématérialisées dont il faudra tirer des leçons, en distinguant la phase d’instruction du procès et la plaidoirie. En effet, il semble qu’un recours plus systématique à la visio-conférence pour les audiences de procédure, trop souvent délaissées par les avocats par manque de temps, présenterait des avantages, notamment celui de promouvoir un dialogue entre avocats et magistrats dans cette phase préparatoire du procès. En revanche, il est essentiel que les audiences de plaidoirie se tiennent en présence, physiquement, du justiciable, de son avocat et du juge car l’échange humain, qui accompagne ce débat oral, participe de l’efficacité et de l’acceptation de la justice. Notre défi consiste donc à accompagner la modernisation de la justice de telle manière à ce qu’elle reste humaine et qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits de la défense.

L’arbitrage a le vent en poupe depuis quelques années maintenant. Comment expliquez-vous cet attrait toujours plus fort pour ce mode alternatif de règlement des litiges ?

José Caicedo. Il y a à mon sens deux explications. La première réside dans le fait que les institutions d’arbitrage ont davantage mis les moyens financiers nécessaires à leur développement depuis quelques années, et ce, afin d’accélérer les procédures. En effet, les arbitrages ont, depuis quelque temps, tendance à être trop longs : les procédures duraient trois voire quatre ans quand elles ne devraient en durer que dix-huit ou vingt-quatre mois tout au plus. Aujourd’hui, plusieurs institutions d’arbitrage proposent des mécanismes qui permettent d’accélérer les procédures, ainsi qu’une plus grande flexibilité et adaptabilité aux besoins des utilisateurs, ce qui s’est avéré essentiel pendant la crise du Covid. Par ailleurs, les investisseurs ont une meilleure connaissance de la protection qu’offrent les traités d’investissement et ils organisent ainsi leurs investissements en conséquence. On remarque également que les institutions arbitrales sont mieux diversifiées : les arbitrages sont donc plus spécialisés dans certains domaines d’activité et certaines particularités régionales. De nouvelles institutions d’arbitrage, notamment régionales, se traduisent dans une augmentation du nombre d’arbitrages que les utilisateurs considèrent être adaptées et accessibles.

"Nous observons un recours de plus en plus systématique à l’arbitrage d’urgence."

On parle souvent de Paris, de Londres, de l’Asie du Sud-Est et des États-Unis comme de grands hubs de l’arbitrage international. Mais qu’en est-il des centres d’arbitrage en Amérique latine ?

J. C. Deux centres se détachent aujourd’hui en Amérique latine. Avant 2019, l’instabilité politique et la pandémie de Covid-19, le Chili était un grand centre d’arbitrage et bien qu’il le soit un peu moins à l’heure actuelle, il demeure un centre attractif. De son côté, le Pérou attire de plus en plus. Le pays a engagé des réformes institutionnelles et législatives qui ont promu l’arbitrage à son rang élevé actuel. Le centre d’arbitrage de Lima connaît beaucoup de procédures nationales, internationales et régionales. Deux autres centres méritent également d’être cités : le Brésil et le Mexique. En ce qui concerne le Brésil, c’est un peu particulier puisqu’il s’agit d’un marché tellement grand qu’en réalité, le pays attire davantage d’arbitrages locaux qu’internationaux. Le Mexique est quant à lui une place très importante de la région en matière d’arbitrage international.

Quelle autre tendance observez-vous en matière d’arbitrage international ?

J. C. Nous observons un recours de plus en plus systématique à l’arbitrage d’urgence. Nous constatons un réel besoin pour nos clients de recourir à cette procédure. Par ailleurs, depuis le début de l’année 2020, et avec la pandémie de Covid-19, nous avons été contactés par plusieurs clients au sujet des mesures prises par les autorités, notamment en droit des investissements étrangers, avec les problématiques de traitement national. Nous accompagnons nos clients afin de nous assurer que ces mesures respectent bien les droits qu’ils ont sur les traités. L’augmentation du nombre de tiers financiers ou "third party funders" dans diverses régions du globe est également un phénomène à souligner.

Pendant le confinement, les équipes ont beaucoup travaillé en visio-conférence. Le recommanderiez-vous encore à l’avenir dans votre activité ?

E. V. Oui, naturellement. C’est un outil qui offre de la flexibilité dans l’organisation. Il favorise également l’écoute, les prises de parole construites, sur une période de temps concise, ce qui en fait un outil parfaitement adapté pour certaines de nos réunions. Cependant, la visio-conférence présente également des inconvénients, comme celui, par exemple, d’inhiber quelque peu les réactions spontanées et interactions entre les différents participants. Il n’y a donc aucun dogme sur l’usage de cet outil, mais il est exact que nous avons pris de nouvelles habitudes qui en feront un mode d’échange plus fréquemment utilisé.

J. C. De notre côté, nous avons insisté pour tenir les audiences arbitrales en visio-conférence pendant le confinement. Notre équipe en a eu quatre pendant le confinement. Mais lorsqu’il s’agit de plaider, l’absence de contact direct avec les parties, les arbitres, les témoins et les juges me laisse quelque peu dubitatif. La visio-conférence ne peut remplacer, à mon sens, la qualité d’une audience en personne. De nombreuses institutions d’arbitrage comptent toutefois lancer l’idée d’arbitrages virtuels et profiter de la situation pour normaliser cette pratique.

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