Paul-Henri Antonmattei : au cœur de la stratégie sociale
Le droit social n’aura jamais été aussi fourni qu’en 2020, et avec le prolongement de la crise sanitaire, l’activité ne devrait pas ralentir. De quoi donner du grain à moudre aux experts de cette matière technique, comme Paul-Henri Antonmattei. Ce dernier a revêtu de nombreuses casquettes depuis le début de sa carrière et participé activement à la refondation du droit social : doyen honoraire de la faculté de droit et science politique de l’université de Montpellier, il a présidé la Conférence des doyens et a également été membre de la Commission de Virville "Pour un Code du travail plus efficace" et de la Commission Combrexelle, qui a servi de base à la réforme du droit du travail et autorisé les entreprises à négocier des aménagements au Code du travail.
À la demande du ministère du Travail, le professeur a participé à la corédaction de deux rapports : la Charte d’éthique, alerte professionnelle et droit du travail français en 2007 et Le travailleur économiquement dépendant en 2008, mais aussi corédigé le nouveau Code du travail. En parallèle de ses activités académiques et universitaires denses, ce Corse d’origine a toujours gardé un pied dans le monde des avocats. Longtemps associé au sein du cabinet Barthélémy, il a rejoint en septembre dernier l’équipe sociale de Bredin Prat, menée par Pascale Lagesse, en qualité de consultant. L’occasion pour le cabinet français de bénéficier de la vision d’un érudit du droit social : bien plus qu’un éminent universitaire, Paul-Henri Antonmattei fait partie de ces praticiens qui participent à l’évolution de cette matière si singulière et en perpétuelle mouvance.
Professeur-praticien
Paul-Henri Antonmattei compare la manière de travailler des professeurs de droit à celle des scientifiques. C’est notamment pour cette raison qu’il souhaite l’application d’un statut particulier en leur faveur : celui de professeur des universités-praticiens. Ce statut de la fonction publique française n’est appliqué qu’aux médecins, odontologistes, pharmaciens et scientifiques, qui appartiennent à la fois à une université et à un centre hospitalier universitaire et nommés à titre permanent. "Les professeurs de droit partagent la même démarche pédagogique que celle des professeurs de médecine, à savoir celle de fournir un enseignement académique et pratique de leur matière", explique l’expert du droit social. Paul-Henri Antonmattei avait même formulé une proposition à Valérie Pécresse, à l’époque ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, afin de faire reconnaître ce statut à l’enseignement juridique. La demande n’aura malheureusement pas abouti pour des raisons financières notamment, mais témoigne de la volonté de Paul-Henri Antonmattei de valoriser l’influence des spécialistes du droit.
Nul doute qu’aujourd’hui les apports doctrinaux, conjugués à la pratique, sont essentiels pour faire évoluer la matière sociale. Paul-Henri Antonmattei note d’ailleurs depuis plusieurs années une démarche plus "libertaire" de la part du législateur : celui-ci donne aux acteurs des relations sociales, à savoir les DRH, dirigeants, syndicats et organisations patronales une marge de manœuvre plus importante dans l’application du droit. Les conseils d’experts comme Paul-Henri Antonmattei sont alors indispensables pour les aiguiller : "L’accord collectif est devenu le centre de gravité du droit du travail. Aux négociateurs de construire, par un dialogue loyal et sérieux, une organisation juridique adaptée à la stratégie économique et sociale de l’entreprise. Il faut encore expliquer cette évolution majeure du droit du travail français". explique Paul-Henri Antonmattei qui défend la promotion de l’accord collectif de travail.
Ambassadeur d’un projet social
Ces dix dernières années, le droit du travail a connu de nombreuses évolutions : entre 2008 et 2019, pas moins d’une trentaine de lois ont vu le jour. Parmi les plus récentes, la loi Rebsamen de 2015 a remanié la composition et le fonctionnement des instances représentatives du personnel. La loi Travail de 2016 est venue modifier de très nombreux domaines du droit du travail et le nouveau Code du travail de 2017, modifié sous le gouvernement Philippe, a intégré cinq nouvelles ordonnances. Une série de décrets publiés en 2017 et 2018 sont par la suite venus compléter le dispositif. Autant de nouvelles règles juridiques que les acteurs sociaux doivent assimiler et intégrer à leur pratique. "La promotion normative de l’accord collectif de travail conforte le concept de stratégie sociale de l’entreprise qui peut être éclairé par les conseils d’un avocat". Le dialogue social regroupe l'ensemble des processus de négociation, de partage de l'information ou de consultation mis en place entre le gouvernement, les employeurs et les salariés dans le cadre de problématiques ou de questions liées à la politique économique et sociale menée par l'État. Une démarche que le Montpelliérain résume à l’expression "Inseme si po" des chanteurs corses du groupe I Muvrini.
"Le dialogue social est un pari politique dont la réussite dépend non seulement d’une montée en compétences des acteurs du droit social, mais aussi d’un changement culturel"
2019 a clairement été l’année du dialogue social. 2020 le sera également et 2021 plus encore, ce qui susitent de nombreux enjeux. Parmi eux, la formation d’abord, des futurs professionnels du droit. Certaines universités, comme celle de Montpellier, commencent à ouvrir leurs enseignements vers un prisme social de la stratégie d’entreprise. Paul-Henri Antonmattei est d’ailleurs responsable d’un diplôme universitaire (DU) entièrement consacré au droit et à la pratique du dialogue social, qui réunit au sein d’une même promotion des DRH, des avocats ou encore des délégués syndicaux. "L’objectif de ces formations communes, comme le DU Droit et pratique du dialogue social de l’Université de Montpellier, est de permettre aux acteurs du dialogue social, aux avocats, aux magistrats de perfectionner ensemble leurs connaissances du droit de la négociation collective et des règles relatives au comité social et économique tout en échangeant sur les bonnes pratiques", illustre le professeur.
Au sein du cabinet Bredin Prat, ce sujet l’occupe également en ce qu’il est perçu comme un instrument de stratégie pour l’entreprise. "Le dialogue social est un pari politique dont la réussite dépend non seulement d’une montée en compétences des acteurs du droit social, mais aussi d’un changement culturel. À ceux qui croient au bien fondé de cette évolution d’en assurer la promotion singulièrement dans les petites et moyennes et entreprises".
Pour mieux accompagner ces acteurs du droit, Paul-Henri Antonmattei dispense des formations en entreprise. Il a déjà délivré une cinquantaine de sessions destinées à expliquer le concept de dialogue social, ses enjeux et sa mise en œuvre. Sa priorité reste aujourd’hui de toucher le maximum d’entre elles. Même si les dirigeants des plus petites entreprises ne perçoivent pas immédiatement l’intérêt pour eux de se lancer dans une telle démarche, ils en perçoivent les contours à force d’explications. "La promotion de l’accord collectif de travail s’est accompagnée de la mise en place d’un principe de primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Cela offre à la négociation d’entreprise une capacité plus forte d’adaptation de la règle au contexte économique et social de l’entreprise. La négociation en matière d’heures supplémentaires en est un bon exemple : l’accord d’entreprise peut, de manière autonome, déterminer le taux majoration des heures supplémentaires (avec un minimum de 10%) et le contingent d’heures supplémentaires."
Faire avancer le droit
Si l’instauration du dialogue social en entreprise demeure un chantier majeur des travaux menés par Paul-Henri Antonmattei, d’autres sujets tout aussi brûlants le solliciteront : celui de la réforme des retraites, laissée brutalement en suspens lors du déclenchement de la crise sanitaire, mais aussi ceux de la numérisation ou encore de l’accord interprofessionnel sur le télétravail, conclu en novembre dernier. "Nombreux sont ceux qui aujourd’hui contribuent à l’évolution du droit social non sans débats souvent animés et passionnés. Œuvrer à la réussite du dialogue social est aussi un engagement politique que je revendique", confie le professeur à qui il a déjà été proposé d’occuper une fonction politique au travers d’un mandat municipal. S’il ne projette pas encore de s’engager dans cette voie, il n’en exclut pas l’idée dans le futur. Pour l'heure, son seul engagement est celui porté par sa façon d’œuvrer professionnellement.
Marine Calvo