Printemps 2020, la France anéantit son économie et fragilise son avenir pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Elle renonce à ses libertés fondamentales. Comment a-t-on pu en arriver là ? C’est le résultat d’un mythe et d’une démission estime Olivier Belondrade, vice-président du Cercle Montesquieu

Le mythe, c’est que notre société peut aujourd’hui traverser l’Histoire sans avoir à faire des choix difficiles et sans en payer le prix. C’est le mythe que l’on peut faire la guerre sans faire de victime. C’est le mythe qu’une épidémie ne tue pas les plus fragiles.

La démission, c’est celle que l’on constate face à la complexité. Elle se matérialise par la recherche d’une simplification trompeuse dans la gestion de la crise en pondérant, peut-être de façon insuffisamment nuancée, l’avis des experts sanitaires qui n’ont, comme tous les experts d’ailleurs, qu’une vision parcellaire des enjeux et ne jugent le monde qu’au travers de leurs propres priorités et à l’aune de leurs propres valeurs.

La crise que nous traversons aujourd’hui n’est pas une crise sanitaire. C’est une crise globale, dont l’élément déclencheur est une question sanitaire. Du fait de son caractère global, elle doit être appréhendée comme un système complexe. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle pourra être gérée efficacement. Or, la crise du Covid-19 n’a pas été gérée comme une crise globale. Au contraire, les choix faits se fondent essentiellement sur le principe que la vie humaine n’aurait pas de prix et que tout devrait s’incliner devant l’urgence sanitaire. Ce faisant, nous mettons en place les conditions pour que les conséquences de l’épidémie se propagent et s’amplifient dans les autres domaines essentiels - économique, social, juridique. Les effets négatifs en sont déjà perceptibles.

L’économie s’enfonce dans la récession avec son lot de chômage, de pauvreté et le développement d’un phénomène que les économistes appellent désormais les « morts du désespoir ». Au niveau international, les tensions s’accroissent au travers du retour en force des tendances isolationnistes par peur des autres.

Les choix opérés font voler en éclats les uns après les autres certains principes fondamentaux de notre démocratie

La France se divise elle aussi. L’inégalité dans la charge économique de la lutte contre l’épidémie accroît déjà les tensions entre nos ainés et le reste de la population - la quasi-totalité de la valeur monétaire des effets de la réduction de la mortalité du fait des mesures de confinement étant concentrée sur une minorité (30 %) de la population.

Mais loin de se limiter à cela, les choix opérés font voler en éclats les uns après les autres certains principes fondamentaux de notre démocratie. Les libertés d’aller et venir et d’entreprendre ont été les premières victimes de ce recul de la démocratie avec le confinement de l’ensemble de la population française et la fermeture de milliers de commerces. Plus inquiétantes encore sont les mesures qui pourraient modifier en profondeur et dans la durée la relation entre les citoyens que nous sommes et l’État au travers de l’application Stop Covid et du suivi de nos interactions sociales qu’elle mettrait en place.

Pour gérer cette crise de façon efficace, nous devons agir différemment.

Mieux prendre en compte la diversité des points de vue. Comme la crise est un système complexe, elle est constituée de différents éléments qui interagissent de manière permanente les uns avec les autres. La crise actuelle n’échappe pas à cette réalité. Sa gestion optimale passe donc par la prise en compte de la diversité des éléments qui la constituent.

Concrètement, les spécialistes de chacun des domaines touchés par la crise (économique, social, international, institutionnel...) doivent être consultés, au même titre que les experts sanitaires, et leurs avis pris en compte à un niveau équivalent. Le poids de chacun des éléments pertinents de la décision doit être soigneusement pesé et pondéré en prenant garde au biais de focalisation dont nous pourrions être victimes, notamment sur le volet sanitaire.

Pour répondre au caractère dynamique de la crise, il faut apprendre rapidement des succès, mais surtout des échecs

Elle permet aussi de favoriser une plus grande diversité d’idées et d’expériences qui sont autant de facteurs d’amélioration des décisions. Elle évite aussi de traiter les crises de manière unidirectionnelle, comme il semble que ce soit le cas de la crise actuelle où l’avis du corps médical est prééminent.

Rechercher l’optimum global. L’optimum d’un système complexe n’est pas l’agrégation de l’optimum de chacun des sous-domaines qui le constituent - sanitaire, économique, social et autres dans notre cas - mais leur intégration.

Ainsi, le champ des éléments à prendre en compte doit être significativement élargi. De même, les décisions ne doivent pas être prises de manière séquentielle - sanitaire, puis économique, puis sociale - mais de manière intégrée en ce sens que chaque décision, quel qu’en soit le domaine, doit intégrer les contraintes et les effets induits qu’elle pourrait avoir sur les autres domaines - le sanitaire sur l’économie, l’économie sur le social, les relations internationales sur l’économie. Le fait qu’une décision soit sous-optimale pour tel ou tel domaine pris individuellement n’est pas une difficulté en soi si la décision prise est optimale au niveau global. Cette approche permet d’éviter d’aggraver la crise et de l’étendre à d’autres domaines. Elle a aussi l’avantage inestimable de redonner sa juste valeur à chacun des domaines concernés.

Les conséquences désastreuses induites par le confinement sur le seul domaine économique - national et international -, largement décrites depuis quelques semaines sont l’illustration la plus forte de l’effet délétère d’une analyse qui semble avoir méconnu cette réalité. De la même façon, le nombre de décès directement liés à l’épidémie ne doit pas faire oublier les risques d’une augmentation d’autres décès générés par des décisions non inscrites dans la profondeur d’une analyse systémique.

Apprendre vite et continuellement. Les systèmes complexes évoluent en permanence sous l’effet des interactions entre leurs différents éléments. Ils sont en perpétuelle transformation. Pour répondre au caractère dynamique de la crise, il faut apprendre rapidement des succès, mais surtout des échecs, et accepter de modifier les décisions prises en fonction du déroulement des événements et des nouvelles interactions.

Cela nécessite un changement d’approche dans notre façon d’apprendre et de décider. Il faut renoncer à ne prendre des décisions que lorsque l’ensemble des éléments sont disponibles et accepter une part d’incertitude. Si cette prise en compte d’éléments changeants et de l’incertitude motive probablement nos décideurs dans leur processus de réflexion, les aménagements fréquents des décisions prises sont encore essentiellement limités aux aspects sanitaires, au détriment des autres.

Les décisions prises doivent aussi être considérées comme des « expérimentations » plutôt que comme des solutions définitives, comme cela est fait dans les entreprises les plus innovantes. Elles devront être modifiées, adaptées, voire abandonnées, en fonction du résultat obtenu et de l’évolution des événements. Pour ce faire, il est essentiel de faire remonter les difficultés et les échecs, toujours moins facilement rendus publics que les réussites, et d’en rechercher les causes, y compris structurelles. L’échec n’est pas important s’il est de courte durée et permet d’apprendre.

Le déconfinement et la remise en route de notre économie se profilent. Ils suscitent déjà de nombreuses interrogations et incertitudes. Un point est toutefois certain. Ils devront, pour leur conception et leur mise en œuvre, prendre en compte les principes propres à la gestion de tous les systèmes complexes. Cette posture permettra de gérer de manière optimale la crise que nous traversons et ainsi d’éviter de prendre de mauvaises décisions pour de mauvaises raisons. Plus nous tarderons à l’apprendre plus il nous en coûtera.

Par Olivier Belondrade, vice-président du Cercle Montesquieu

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