Il est devenu habituel ces dernières années de voir les acteurs de l’entreprise et leurs conseils se féliciter d’un revirement de jurisprudence, intervenant en règle générale sur un thème marqué par des décisions considérées comme déraisonnables ou dont la portée pourrait mettre en cause l’équilibre économique de certaines entreprises.

Un exemple récent est fourni par la énième étape du revirement de jurisprudence engagé par la Cour de Cassation sur le fameux « principe d’égalité de traitement » que la Chambre sociale avait patiemment « détouré » depuis le fameux arrêt Ponsolle (Cass. Soc. 29 octobre 1996, n° 92-43.680).

 

En effet, après avoir affirmé en 2009, en vertu de ce principe d’égalité de traitement, que « pour l’attribution d’un avantage, la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives et dont le Juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence (Cass. Soc. 1er juillet 2009, Pain n° 07-48.675), la Cour de Cassation a modifié totalement sa position en janvier 2015. Le revirement a été plus que net : « les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociées et signées par des organisations syndicales représentatives … sont présumées justifiées … » (Cass. Soc. 27 janvier 2015, n° 13-23.818).

 

Ainsi, pendant une période de près de six ans, la jurisprudence de la Chambre sociale a fait peser une menace de contentieux de rattrapage salarial ou de tout autre avantage pécuniaire prévu par une convention ou un accord collectif, avec toutes les conséquences qui en découlent pour les entreprises, pour qu’au final, une décision totalement inverse soit prise après que la Cour ait consulté et pris en compte les avis et les critiques qui lui étaient adressés sur cette jurisprudence.

 

Cette ouverture et cette sagesse sont louées par l’ensemble des commentateurs, mais sont malheureusement beaucoup trop tardives et laissent sans recours toutes les entreprises qui ont eu à supporter les compétences pécuniaires des très nombreux contentieux générés par l’arrêt Pain précité de 2009.

 

Or, ces conséquences auraient pu être évitées si la concertation et l’analyse de toutes les problématiques induites par une telle jurisprudence avaient été évaluées dès l’origine par la Cour.

 

Autre exemple sur l’application du même principe d’égalité de traitement. Plusieurs années après avoir affirmé que les différences de rémunération entre salariés d’une même entreprise, en fonction du coût de la vie, n’étaient pas justifiées, « l’allégation de la société relative au niveau du coût de la vie plus élevé à Paris qu’en Province n’étant fondée sur aucun élément objectif » (Cass. Soc. 5 mai 2010, n° 08-45.502), la Chambre sociale de la Cour de Cassation inverse sa jurisprudence et admet des différences de salaire de base dans la même entreprise fondées sur la disparité du coût de la vie.

 

Or, on ne note pas dans l’arrêt récent de revirement que l’employeur ait apporté dans cette espèce plus d’éléments objectifs et concrets que dans l’affaire précédente (Cass. Soc. 14 septembre 2016, n° 15-11.386).

 

L’évolution est moins spectaculaire que le revirement de 2015, et elle est bien entendu positive pour les entreprises concernées dont elle sécurise les politiques de rémunérations. Mais les employeurs condamnés sur la base de cette jurisprudence à des rappels de salaires ou à modifier leur politique salariale, certes non négociée mais fondée sur le bon sens et une approche collective de la rémunération, ne peuvent se satisfaire de ces revirements.

 

Des exemples de ce type sont très nombreux et sur des sujets essentiels.

 

Pour ne citer qu’un autre exemple, prenons celui de la jurisprudence sur l’obligation de sécurité et de résultat. Pendant plus d’une décennie, dans le droit fil des arrêts « amiante » de 2002 ayant affirmé l’obligation de sécurité et de résultat, les employeurs se sont vus condamnés en cas de situation de harcèlement moral déclarée dans l’entreprise. Sans prendre en considération les actions que l’employeur avait mis en place au titre de ses obligations de prévention, la jurisprudence a systématiquement reconnu la responsabilité de l’employeur et l’a condamné à indemniser la personne victime de harcèlement.

 

Là encore, par deux arrêts de 2015 et 2016 (Cass. Soc. 1er juin 2016, n° 14-19.702), la jurisprudence est revenue à une approche beaucoup plus raisonnable, en permettant à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité lorsqu’il justifiait avoir pris toutes les mesures prévues par le Code du Travail pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés.

 

Mais là encore, ce retour de balancier est beaucoup trop tardif, et tend à conforter ceux qui critiquent, à juste raison, l’insécurité normative de notre droit du travail, insécurité qui doit certes beaucoup à l’inflation législative et réglementaire et aux carences de ce même législateur, mais aussi pour une bonne part, à la jurisprudence et surtout à la manière dont celle-ci construit le droit.

 

La Cour de Cassation revendique sa place dans la création de la norme, que l’article 4 du Code civil lui reconnaît et qui ne lui est pas contesté. Encore faut-il que cette même jurisprudence reste dans les limites des compétences attribuées aux juridictions, et surtout, pour l’avenir, trouve le moyen d’évaluer et d’anticiper toutes les conséquences de décisions. De nombreuses voix ont réclamé ces dernières années que les juridictions supérieures aient l’obligation de se livrer à, par exemple, des études d’impact ou des consultations larges avant de rendre des décisions importantes, en particulier des revirements.

 

Cet exercice, auquel se livre le législateur depuis 2009, n’est pas bien entendu directement transposable au juge mais la piste mérite d’être approfondie et mise en œuvre sans tarder.

 

Ce serait un chantier de réformes ambitieux à intégrer au programme de la prochaine législature de 2017, qui contribuerait à atteindre ou tenter d’atteindre l’objectif de sécurité juridique (et de simplification) affiché par de nombreux candidats.

 

Malheureusement, ce chantier est absent pour l’instant de tous les programmes affichés.

 

Jean Michel Mir

 

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