L’affaire Buffalo Grill ravive la crainte des avocats face à la restriction des droits de la défense. Après la Cour de cassation, la CEDH vient de confirmer la validité des écoutes entre un avocat et son client constatant la violation du secret professionnel.

Nathalie Roret, avocate dans le dossier Buffalo Grill et candidate au vice-bâtonnat de Paris, revient pour Décideurs Magazine sur la portée de la décision de la Cour européenne du 16 juin dernier.

 

Décideurs. La CEDH fait-elle un pas en avant ou en arrière pour les droits de la défense ?

Nathalie Roret. Comme tous les avocats, j’attendais avec impatience cette décision et j’espérais que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) fermerait la porte ouverte par la Cour de cassation[1]. Je ne suis pas surprise mais déçue. L'arrêt a validé les écoutes téléphoniques du dossier et a confirmé la jurisprudence de la Cour de cassation. Cependant, on peut voir le verre à moitié plein : la Cour européenne est moins restrictive que la chambre criminelle.

 

Décideurs. Quelle est la jurisprudence aujourd’hui ?

N. R. La subtilité concerne l’appréciation des droits de la défense. La chambre criminelle décide que la transcription des écoutes incidentes ne peut pas être utilisée contre le client lorsque celui-ci est témoin assisté, mis en examen ou gardé à vue. Cela signifie qu’une personne faisant l’objet d’une enquête préliminaire peut appeler son avocat, se livrer à lui et qu’elle ne sera pas protégée si elle n’est pas dans une de ces trois situations, alors même que cela fait des mois que les avocats travaillent sur sa défense. Cet arrêt est une aberration : les droits de la défense ne doivent pas être limités par le statut de mis en examen, de témoin assisté ou par le placement en garde à vue qui sont de surcroît des mesures que le juge décide ou pas de mettre en œuvre.

 

On peut voir le verre à moitié plein : la Cour européenne est moins restrictive que la chambre criminelle

 

Décideurs. En quoi la CEDH est-elle moins restrictive ?

N. R. Elle prévoit que la transcription des écoutes ne peut avoir pour effet d’être utilisée contre le client dans la procédure dont il est l’objet, en vertu des droits de la défense. Le client est donc protégé quel que soit le stade procédural du dossier. L’évolution donnée par la CEDH est l’abandon de la seconde condition de validation des écoutes téléphoniques, c’est-à-dire le fait que le client soit mis en examen, en garde à vue ou témoin assisté au moment des écoutes. En revanche, la première condition concernant la participation de l’avocat à une infraction reste inchangée.

 

Décideurs. Cet arrêt va-t-il changer le déroulé de l’affaire Sarkozy ?

N. R. L’affaire concerne bien des écoutes téléphoniques incidentes, celles entre Nicolas Sarkozy, sous le nom d’emprunt Paul Bismuth, et son avocat Thierry Herzog, relevant du trafic d’influence dans le dossier de la Libye. Les informations livrées par ces écoutes téléphoniques concernent l’affaire Bettencourt, donc une autre affaire. Si la Cour de cassation avait à connaître de nouveau de cette question, elle devrait en théorie appliquer l'arrêt de la CEDH et décider que les écoutes ne peuvent pas être utilisées contre Nicolas Sarkozy, contrairement à ce qu’elle a décidé avant l’arrêt de la CEDH du 16 juin 2016. En fait, il est sans doute regrettable qu’une question aussi importante que celle du secret professionnel soit posée à travers des dossiers aussi médiatiques et politiques que Buffalo Grill et le financement de campagne de Nicolas Sarkozy, car on ne peut pas exclure que ces médiatisations nuisent à sa bonne appréciation.

 

Décideurs. A la suite à l'arrêt de la CEDH, votre confrère Jean-Pierre Versini a réagi de manière virulente. Il préfère ne plus être présent lors de la garde à vue. Et vous ?

N. R. Je pense que Jean-Pierre Versini attendait beaucoup de cet arrêt après dix ans de combat judiciaire. J’explique sa réflexion par l’amertume qu’il ressent quant à l'arrêt de la CEDH. La présence d’un avocat à tout moment du déroulement de la garde à vue est indispensable, c’est évident. Le code de procédure pénale interdit à toute personne de révéler ce qui se passe lors d’une garde à vue.

 

Décideurs. Justement, ce dossier pose la question de la subordination d’un avocat collaborateur à son patron. Où est l’équilibre ?

N. R. Un avocat, qu’il soit associé ou collaborateur, reste indépendant. Dans ce dossier, Jean-Pierre Versini-Campinchi avait demandé à l’Ordre de ne pas poursuivre sa jeune collaboratrice, Tania Crasnianski. Lors des écoutes téléphoniques, c’est bien elle qu’on entendait divulguer des éléments sur la garde à vue d’autres personnes du dossier. Elle ne pouvait donc pas échapper à l’examen de sa responsabilité. On ne sait pas si c’est Jean-Pierre Versini-Campinchi qui lui a ordonné de passer l’appel ou si elle a téléphoné de son propre fait et qu’il a voulu la couvrir. Cependant, je n’imagine pas qu’un avocat puisse obéir à n’importe quel commandement de son patron. L’essence même de ce métier c’est de savoir s’opposer. En tout cas, la décision ordinale de condamnation des deux avocats a été confirmée à tous les niveaux, car l’appel et le pourvoi ont été rejetés. La CEDH a également validé les écoutes.

 

Décideurs. Avec ce nouvel arrêt, quel avenir pour le secret professionnel ?

N. R. Nous devons poursuivre notre combat pour la protection du secret professionnel et faire confiance à la CEDH. D’autant plus que sa future jurisprudence peut s’inspirer du droit des autres États parties à cette convention. Aux Pays-Bas, les avocats communiquent leur numéro de portable professionnel et un logiciel arrête l’écoute dès que l’enregistrement porte sur cette ligne. L’évolution des droits français et européen peuvent aller dans ce sens. On peut aussi citer la position de la Cour pénale internationale qui est plus protectrice : l’audition de la bande d’écoute est confiée à un tiers de confiance, qui est un avocat désigné par le bâtonnier. Pour se battre, il faut y croire. Nous y croyons.

 

Propos recueillis par Pascale D’Amore et Emilie Smelten

 

[1] Cass. Crim., 1er oct. 2003 n°2003-020541

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