Jean-Paul Hordies est certainement le plus euro-convaincu de tous les avocats bruxellois. Initiateur d’Alphalex, un groupement européen d’intérêt économique destiné à promouvoir la culture juridique française dans l’Union, il décrypte les conséquences du Brexit pour Décideurs Magazine.

Décideurs. Comment s’organisera concrètement la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ?

Jean-Paul Hordies. La possibilité laissée à un État membre de quitter l’Union n’est possible que depuis 2009. Elle est conditionnée par l’article 50 du traité sur l’Union européenne. Selon le texte, le Royaume-Uni devra d’abord notifier son départ au président du Conseil européen -- actuellement Donald Tusk --, puis négocier les modalités de son départ avec l’Union. Les parties devront fixer elles-mêmes le délai nécessaire pour organiser cette sortie. À défaut d’accord, le traité prévoit qu’un consensus devra être trouvé deux ans après la notification. L’Union européenne et le Royaume-Uni peuvent aussi décider de prolonger les discussions. Si bien que la sortie effective des Britanniques prendra sûrement bien plus que deux ans et le droit de l’Union continuera à s’appliquer pendant ce laps de temps outre-Manche.

 

Décideurs. Quid des jurisprudences fondatrices de l’Union[1] ?

J.-P. H. Tant que l’accord n’a pas été signé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, la jurisprudence communautaire continuera de s’appliquer pour les Britanniques.

 « La sortie effective des Britanniques prendra sûrement bien plus que deux ans »

Décideurs. Un départ qui s’annonce complexe…

J.-P. H. Effectivement, je pense que l’Angleterre ne sait pas dans quoi elle vient de mettre les pieds. Les négociations s’annoncent houleuses. L’Union ne fera aucun cadeau et voudra faire des Britanniques un exemple. D’autre part, le pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande du nord souhaiteront probablement rester dans l’Union et devront d’abord négocier leur sortie du Royaume-Uni. Ce qui risque de prendre un certain temps. Le Brexit signifie par ailleurs, à terme, le retrait des fonctionnaires britanniques des instances européennes. À partir d’aujourd’hui, ceux qui occupent des hauts postes au cœur de l’Union n’ont plus aucune crédibilité et vont devoir prendre des positions radicalement pro-européennes s’ils veulent rester à leur place. Ce qui s’annonce également difficile. David Cameron a commis une très grande erreur politique en s’engageant dans cette procédure. Il est pris à son propre jeu.

 

Décideurs. Que va-t-il se passer pour les cabinets d’avocats britanniques implantés à Bruxelles ?

J.-P. H. Ils sont dans une situation compliquée, car ils vont perdre toute crédibilité, même si leurs compétences juridiques ne seront pas remises en cause. Pour toutes les affaires portant sur des dossiers transatlantiques par exemple, ils seront à l’avenir très certainement laissés sur la touche, alors qu’ils étaient jusqu’à aujourd’hui en première ligne. De là à devenir hors-jeu au niveau mondial, il n’y a qu’un pas. Certains cabinets, notamment en concurrence ou en corporate finance, ne devraient néanmoins pas être affectés par la sortie de la Grande-Bretagne puisque les entreprises britanniques implantées dans les pays européens auront toujours besoin de conseils juridiques.  

 

Décideurs. Au cœur des instances européennes, avait-on imaginé la victoire du Brexit ?

J.-P. H. Non, y compris les élus britanniques. Certains politiques avaient néanmoins envie de voir le Royaume-Unis sortir de l’Union, même s’ils ne pouvaient pas le dire ouvertement…

 

Décideurs. C’est-à-dire ?

J.-P. H. Il faut bien comprendre que contrairement à ce qu’on entend dans la plupart des médias, la situation n’est pas si grave pour l’Europe. Au contraire ! Même si cet épisode risque de donner des envies aux plus eurosceptiques comme l’Autriche ou la Hongrie, il renforcera le lien entre les six pays fondateurs, convaincus par l’Europe et leur permettra d’aller encore plus loin.

 

Décideurs. C’est pourtant un constat d’échec pour l’Europe…

J.-P. H. C’est effectivement dramatique sur le plan idéologique, car l’Union est la seule grande idée politique de ces 150 dernières années dans cette région du monde. On ne met en avant que les aspects négatifs, sans voir que la CJUE rend par exemple des décisions d’une grande modernité en matière de protection de la vie privée notamment.

 

 « La situation n’est pas si grave pour l’Europe. »

 

Décideurs. Quels seront les conséquences positives pour les Britanniques ? 

J.-P. H. Aucune malheureusement. La victoire du Brexit est celle du nationalisme et du populisme qui monte en Europe depuis quelque temps. Comment les Britanniques peuvent-ils baigner dans le populisme alors que le monde connaît une globalisation technologique ? Aucun des grands défis de notre temps (climat, immigration, droit de l’homme…), ne peuvent être traités à l’échelle nationale.

« Tous les francophones attendent que la France récupère sa place de leader en Europe.»

Décideurs. Quel rôle les Français ont-ils à jouer dans cette nouvelle Europe ?

J.-P. H. Tous les francophones attendent que la France récupère sa place de leader en Europe. Mais il faut pour cela pallier le manque de culture européenne des juristes et des Français en général. Le CSA impose par exemple que certaines heures soient dédiées à la pédagogie européenne sur le service public… mais rien n’est fait. Pendant ce temps, les anglos-saxons s’impliquent davantage et s’occupent des questions importantes. La culture française est pourtant bien ancrée dans les fondations de l’Union. Les arrêts de la Cour de justice de l’Union sont d’ailleurs d’abord rendus en français, quels que soient les pays membres concernés. Seuls quatre ou cinq cabinets français sont pourtant installés à Bruxelles, contre une soixantaine de structures anglo-saxonnes.

 

Propos recueillis par Capucine Coquand

@CapucineCoquand

 

[1] CJUE, Van Gend en Loos, 5 février 1964 : la Cour reconnaît que le droit de l’Union engendre des droits au profit des ressortissants des États membres, consacrant ainsi la limitation de leur souveraineté.

CJUE, Costa c/ Enel, 15 Juillet 1964 : la Cour consacre le principe de la primauté du droit communautaire sur les législations nationales.

 

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