Par Luc Bachelot, avocat associé, Capstan Avocats

À l’occasion de la déclaration d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, l’employeur est en droit d’émettre des réserves motivées.

 

L’intérêt est d’éviter que la caisse primaire d’assurance maladie se prononce au seul vu de la déclaration qui lui est transmise. L’émission de réserves motivées oblige en effet la Caisse d’une part, à envoyer à l’employeur et à la victime un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ou de la maladie ou à procéder à une enquête auprès des intéressés [i] et d’autre part, à communiquer aux mêmes personnes, au moins 10 jours francs avant de prendre sa décision, l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier qu’elle a constitué[ii].

 

Ces obligations ne s’imposent toutefois à la caisse qu’à la double condition que les réserves soient motivées et qu’elles lui parviennent avant qu’elle n’ait pris sa décision, ce qu’elle peut faire en matière d’accident du travail sans attendre l’expiration du délai de trente jours[iii]. Pour la Cour de cassation, les réserves motivées doivent s’entendre de la contestation du caractère professionnel de l’accident et ne peuvent porter que sur les circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail[iv]. En revanche, l'exigence de réserves motivées ne s’interprète pas comme imposant à l'employeur de rapporter, à ce stade de la procédure, la preuve de faits de nature à démontrer que l'accident n'a pu se produire au temps et au lieu du travail[v].

 

Dans ce cadre, le non-respect par la caisse de ses obligations rend son éventuelle décision de prise en charge inopposable à l’employeur.

 

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation confirme, si besoin en était, que l’instruction qui s’impose à la caisse en cas de réserves motivées émises par l’employeur doit nécessairement revêtir un caractère contradictoire[vi].

 

En l’espèce, une société avait sollicité que lui soit déclarée inopposable une décision de prise en charge d’un accident au sujet duquel elle avait émis des réserves motivées au motif qu’elle n’avait pas été associée à l’enquête réalisée par la caisse primaire d’assurance maladie.

 

La Cour d’appel a fait droit à sa demande après avoir constaté que l’inspectrice assermentée chargée de l’instruction n’avait pas contacté la direction de l’entreprise aux fins d’obtenir ses observations et n’avait donc pas respecté le principe contradictoire de la procédure. Pour la Cour d’appel, la caisse ne pouvait se retrancher derrière le fait que l’employeur avait fait connaître sa position en émettant des réserves puisque les réserves de l’employeur sont justement un des cas où les textes lui font obligation d’envoyer un questionnaire ou de procéder à une enquête auprès des parties.

 

Devant la Cour de cassation, la Caisse s’est défendue en faisant valoir que les mesures d’instruction qui s’imposent en cas de réserves motivées, à savoir l’envoi de questionnaires ou l’organisation d’une enquête n’ont pas forcément à être menées contradictoirement et qu’il suffit, pour que le droit de chacune des parties soit respecté, que celles-ci soient invitées, avant que la caisse ne prenne sa décision, à prendre connaissance et à présenter leurs observations notamment sur le questionnaire adressé à une seule des parties ou encore aux conclusions de l’enquête effectuée auprès des seules personnes que l’inspecteur assermenté a jugé opportun d’entendre.

 

La Cour de cassation a rejeté cette argumentation et confirmée la décision de la Cour d’appel en jugeant que l’obligation faite à la caisse d’envoyer un questionnaire à l’employeur et à la victime ou de procéder à une enquête auprès d’eux impliquait, à tout le moins, que la Caisse contacte l’une et l’autre des parties pour recueillir leurs observations, que ce soit de vive voix ou par questionnaire.

 

La Haute Cour interprète ainsi les textes en ce sens qu’ils imposent à la caisse d’associer, d’une manière ou d’une autre (envoi d’un questionnaire, sollicitation orale, ...) chacune des parties à son instruction sans pour autant l’obliger à mener forcément les mêmes mesures auprès d’elles. Ainsi, l’envoi d’un questionnaire au salarié n’impose pas forcément l’envoi d’un questionnaire à l’employeur, dès lors que ce dernier a été sollicité sous une autre forme. Dans ce schéma, c’est bien évidemment à la caisse de rapporter la preuve par tout moyen des initiatives qu’elle a pu prendre à l’égard de chacune des parties.

 

 

 

 

[i] CSS, art. R.441-11, II.

[ii] CSS, art. R.441-14.

[iii] Civ. 2ème, 5 avril 2007, n° 06-10.017.

[iv] Nombreux arrêts dans ce sens dont : Cass. civ. 2ème, 23 janvier 2014, n° 12-35003 ; Cass. civ. 2ème, 18 septembre 2014, 13-23201 ; Cass. civ. 2ème, 8 octobre 2015, 14-23.477.

[v] Cass. civ. 2ème, 23 janvier 2014, n° 12-35003.

[vi] Cass. civ. 2ème, 10 mars 2016, 15-16669.

Prochains rendez-vous

02 octobre 2024
Sommet du Droit en Entreprise
La rencontre des juristes d'entreprise
DÉJEUNER ● CONFÉRENCES ● DÎNER ● REMISE DE PRIX

Voir le site »

02 octobre 2024
Rencontres du Droit Social
Le rendez-vous des acteurs du Droit social
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER  

Voir le site »

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

{emailcloak=off}

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2024