Jean Messinesi (TC de Paris) : « Le budget du tribunal de commerce a été divisé par douze en dix ans »
Décideurs. Jean-Jacques Urvoas prend la suite de Christiane Taubira. Un regret ?
Jean Messinesi. Christiane Taubira est une femme de talent et de convictions. Je ne partage pas toutes ses idées mais je l’admire, et je regrette sa décision de quitter le gouvernement. Je ne connais pas le nouveau ministre de la Justice mais il est clair que nous avons des problématiques communes : il va devoir lutter pour obtenir une hausse du financement de la justice en général et moi de celui des tribunaux de commerce en particulier.
Décideurs. L’augmentation du budget du tribunal de commerce a été un de vos principaux sujets de campagne. Est-ce une urgence ?
J. M. Le budget du tribunal de commerce de Paris a été divisé par douze en dix ans, passant de 141 500 euros à mon arrivée en 2006 à 11 950 en 2016. Dès lors, il est très difficile de maintenir un fonctionnement normal avec des restrictions si importantes.
Nous avons tenté de trouver d’autres sources de financement comme la location de nos locaux, dans le cadre d’organisation d’événements ou de tournages de films et séries pour la télévision, mais nous n’en récoltons pas les fruits directement. C’est le service administratif régional (SAR) de la cour d’appel de Paris qui gère les recettes et les dépenses des juridictions de son ressort. L’augmentation du budget est donc l’unique solution envisageable.
Décideurs. Vous défendez la justice commerciale face aux procédures anglo-saxonnes privées. Que voulez-vous dire ?
J. M. Je m’interroge sur les raisons qui poussent les entreprises à se soumettre soit à l’arbitrage, soit au droit anglo-saxon. La justice commerciale est rapide, de qualité et peu onéreuse, ce qui n’est le cas ni de l’arbitrage, très cher, très long, ni des cours de Londres ou de New York encore plus chères, encore plus longues. Je souhaite qu’à l’instar des entreprises anglo-saxonnes qui privilégient leur droit et leurs juridictions, les grands groupes français favorisent le recours au droit continental et soumettent leurs différends aux juridictions françaises.
J’encourage par ailleurs l’utilisation des modes alternatifs de règlement des conflits, comme la médiation ou la conciliation, qui permettent aux parties de régler elles-mêmes leurs différends. Une décision convenue entre les parties est souvent mieux acceptée que celle imposée par un juge.
Il est évident qu’il ne faut pas s’enfermer dans le carcan de nos procédures. En d’autres termes, si un justiciable ne parle pas français, nous devons pouvoir le laisser s’exprimer dans sa langue. Nous contribuons par ailleurs à l’association Paris place de droit, afin de renforcer la confiance des entreprises et des cabinets d’avocats dans le droit français et les juridictions françaises, en particulier le tribunal de commerce de Paris qui rend rapidement des décisions de qualité.
Décideurs. Êtes-vous favorable à la spécialisation des tribunaux entamée par Christiane Taubira ?
J. M. L’avantage de la spécialisation des tribunaux de commerce est de réduire les occasions de conflits d’intérêts. Les petits tribunaux y font régulièrement face en raison du nombre limité de leurs effectifs : les juges ne peuvent pas toujours se déporter. La situation est moins compliquée dans un tribunal plus grand. Rattacher chaque petit tribunal à un plus grand permettrait d’encourager la mobilité à l’intérieur de cet ensemble. Ce serait, à mon avis, une vraie solution !
Décideurs. À quand la justice consulaire 2.0 ?
J. M. Mon objectif est d’obtenir la connexion du tribunal de commerce au Réseau privé virtuel des avocats (RPVA) dès cette année. Il est important que la justice intègre les évolutions technologiques qui assurent rapidité et sécurité. La dématérialisation des éléments de procédure profiterait aux juges, aux avocats, mais également aux justiciables. Elle faciliterait les échanges et contribuerait à la réduction des délais. L’oralité, caractéristique de la justice commerciale, en sortira renforcée, mais pour cela il faut que nous entrions dans l’ère numérique.
Propos recueillis par Pascale D’Amore et Estelle Mastinu